Interview avec Stéphane Finetti, Chercheur en Philosophie, Phénoménologie

(fait le 14 juin 2021, par Ellen Moysan, skype de  Heidelberg, Allemagne)

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https://www.millon.fr/livres/140-philosophie-krisis-finetti-stephane-la-phenomenologie-de-la-phenomenologie-de-e-fink-et-son-probleme-directeur.html

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Interviewé : Stéphane Finetti

Interviewer : Ellen Moysan

EM : Comme toujours, je vais commencer par vous demander comment vous définiriez le « chant intérieur », ou qu’est-ce que vous comprenez quand je vous dis ça.

SF : Et bien, j’ai réfléchi au concept de « chant intérieur » et j’ai trouvé quelques exemples, ainsi qu’une référence philosophique qui pourrait aider à mieux comprendre ce concept. Pour donner un premier exemple, je dirais simplement qu’étant donné que je ne dispose pas ici de mon piano, il m’arrive souvent de chanter intérieurement tel ou tel passage d’une œuvre musicale…

EM : oui…

SF : …il m’arrive donc, ne pouvant jouer du piano, de faire de la musique « intérieurement ». Évidemment, il est beaucoup plus facile de le faire que d’expliquer ce que cela signifie d’un point de vue phénoménologique. Pour le comprendre, on pourrait se référer à ce que Husserl appelle dans la première Recherche Logique la « vie solitaire de l’âme » ou la « vie psychique solitaire » et, en particulier, aux « expressions » dans la vie psychique solitaire[1].

EM : Hum

SF : Dans le § 8, Husserl parle du « discours solitaire » de l’âme ou d’une sorte de « monologue » intérieur. L’exemple qu’il donne est un reproche qu’il fait à lui-même (c’est un exemple qui revient souvent chez lui) : il se reproche d’avoir mal agi et se dit qu’il ne peut continuer à agir ainsi. Il le fait « intérieurement » et ce qui est intéressant est que Husserl considère que cela relève de la phantasia (Phantasie).

EM : Hum.

SF : Ce passage est repris, analysé et retravaillé par Marc Richir dans Phénoménologie en esquisses[2]. Richir le reprend pour l’interpréter depuis Husserl et au-delà de Husserl. Le monologue intérieur dont parle Husserl relève pour Richir toujours de la phantasia, mais d’une phantasia qui demeure en-deçà de l’imagination. Bien sûr, on trouve cette distinction dans le cours de 1904/05 de Husserl, mais elle est moins nette et ses conséquences demeurent en large mesure implicites[3].

EM : Hum

SF : Dans cet exemple, les mots prononcés intérieurement sont des mots phantasmés. En tant que tels, ils sont – comme le dit Husserl – « flottants ». Il y a une sorte de Vorschweben. Ces apparitions de phantasia (au sens de Richir) ne sont pas encore des images. Étant donné qu’il s’agit d’un monologue intérieur, ce sont des apparitions de phantasia en-deçà de toute image verbale.

EM : Je comprends.

SF : On pourrait reprendre cette analyse de Husserl retravaillée par Richir et la transposer (du moins en partie) à la musique et, notamment, au chant intérieur. On pourrait penser le chant intérieur comme un chant de phantasia, où les sons dans lesquels se déploie la mélodie sont des sons de phantasia, des sons flottants, fluctuants, en un certain sens encore indéterminés, qui n’ont pas encore la stabilité d’une image sonore.

EM : Justement. Au début de ma recherche j’ai travaillé sur la question de la perception parce que les musiciens semblaient parler du chant intérieur comme d’une « perception intérieure ». Puis je suis arrivée à la notion de « conscience d’image », parce que je suis d’abord interprète, que je travaille à partir d’une partition, et donc qu’il me semblait que le chant intérieur était un « entendre à travers la perception visuelle d’une partition ». Ensuite, j’ai élargi. Je suis ainsi arrivée à trois chants intérieurs : celui de l’interprète qui est un entendre à travers le voir, celui du compositeur qui est un entendre simplement en phantaisie, et celui de l’improvisateur qui est, ou un entendre à travers la perception d’un noyau musical – un standard de jazz par exemple, ou un entendre en phantaisie immédiatement joué – c’est le cas de l’improvisation libre. C’est seulement après cette conceptualisation que je suis arrivée à la notion de « phantaisie ». C’est alors qu’en discutant avec un ami organiste, j’ai réalisé que le chant intérieur n’était pas vraiment un objet imaginé qui est ensuite réalisé, mais qu’il y a toujours un aller-retour entre imaginer, et jouer. Ainsi, non seulement la performance est d’autant mieux que le chant intérieur est riche, mais le chant intérieur devient une vision d’autant plus claire et complète que je joue, et travaille ma musique. Enfin, récemment, je suis parvenue à l’idée d’une phantaisie obscure qui devient plus claire au fur et à mesure que je performe, que je réalise mon chant intérieur par la performance, et que j’ai ainsi la possibilité d’entendre ce que j’imagine en perception. En lisant Husserliana 23, je suis alors tombée sur l’idée d’une phantaisie obscure qui pointe vers la possibilité d’une phantaisie claire donnée en perception, et c’est maintenant comme cela que j’analyse le chant intérieur. Il me semble donc que, dans le « monde du chant intérieur » (pour reprendre une expression de Husserl qui parle du « monde des nombres ») il y a deux objets : un qui est donné dans l’imagination – c’est le chant intérieur, et un qui est donné dans la perception – c’est l’objet que je perçois lorsque je m’entends jouer mon chant intérieur. Entre ces deux objets, il y a une relation d’image : l’objet percevable réalisé dans la performance est l’image de mon chant intérieur.

SF : Hum.

EM : Au début, c’est comme vous dites : flottant. Ça n’a pas vraiment de forme. Par contre, lorsque je joue, j’entends la réalisation de mon chant intérieur, je retiens cela dans ma mémoire, et ce que je retiens « break into the phantaisie » et le transforme, le rendant plus clair. En réfléchissant je me suis rendu compte que, lorsque je reprends un morceau travaillé la veille, ce dont je me souviens, c’est ce que j’ai entendu, perçu, le son que je jouais. Quelque chose de plus clair. Solide. C’est ce son, retenu, qui s’insère dans la phantaisie et la rend plus claire.

SF : Hum.

EM : Je suis donc arrivée à l’idée d’un chant intérieur comme une phantaisie obscure qui se clarifie par l’intervention d’un élément mémorisé. Dans l’analyse de la temporalité du chant intérieur, je distingue quelque chose qui est de l’ordre de la mémoire immédiate, de quelque chose qui est de l’ordre de la mémoire plus éloignée. Par exemple, si j’improvise, mon chant intérieur se déploie au fur et à mesure que je joue – c’est donc la mémoire immédiate qui fonctionne. Par contre, si je travaille un morceau de Bach que j’ai appris hier, cela va être une mémoire plus profonde peut-être.

SF : Je comprends.

EM : En ne travaillant presque qu’avec Husserl, j’en suis arrivée à un concept de chant intérieur vraiment lié à la performance (pas comme une imagination musicale que l’on ne performerait pas après). Quelque chose de vraiment lié à la démarche artistique : je vois ce phénomène obscur au début, puis il devient plus clair. Je ne savais pas que cette idée se trouvait déjà dans les Recherches Logiques 1…

SF : Non, il n’y a que l’exemple du monologue intérieur dans la première Recherche Logique… C’est très intéressant. Effectivement, cela marche très bien pour un bon musicien : celui-ci est capable de lire la partition sans avoir son instrument devant lui et donc de chanter en phantasia ce qui est écrit. C’est donc un bon exemple. Quand je prenais des cours de musique, mon professeur (qui était aussi compositeur) me disait qu’il composait à son bureau et qu’il ne jouait (ou ne faisait jouer) qu’ensuite ce qu’il avait composé. En tout cas, il n’avait pas l’exigence de faire appel à son instrument, grâce à son « chant intérieur ». C’est ce chant en phantasia qui permet au compositeur d’entendre ce qu’il est en train d’écrire. Il y a ensuite ce que vous appelez le rapport à la performance, le rapport de renvoi entre le chant intérieur et la performance…

EM : Oui. D’aller et venue. Mais plus encore que cela, il y a un rapport d’image : ce que je joue doit être à l’image de ce que j’imagine. Dans ma thèse, je parle d’une réalisation du chant intérieur. Le chant intérieur devient réel. Il y a donc un aller-retour entre les deux objets qui sert à resserrer ce rapport d’image jusqu’à ce que… Les grands musiciens ont tellement de technique, tellement d’immédiateté avec leur instrument qu’ils sont capables de vraiment nous donner à entendre leur chant intérieur.

SF : Ah oui. Oui… s’ils ont une bonne technique, effectivement. On peut peut-être dire que ce chant intérieur relève aussi de l’habitus.

EM : Oui oui.

SF : D’habitus kinesthésiques aussi. Etant donné que, par exemple, si je chante intérieurement un standard de jazz comme On Green Dolphin Street, je phantasme le rythme de la batterie, la ligne de basse et les accords que je pourrais faire au piano, mais je co-phantasme aussi mes mouvements ou, mieux, mes kinesthèses[4].

EM : Oui.

SF : Je pense qu’il y a co-implication du Phantasieleib dans le chant intérieur. Il ne pourrait pas y avoir de chant intérieur sans la co-implication du Phantasieleib, qui fait que je ne phantasme pas seulement des sons, mais que je co-phantasme aussi les kinesthèses qui sont liées à leur production. C’est ici que se pose la question de l’habitus kinesthésique. Plus je m’exerce à déchiffrer au piano des morceaux que je ne connaissais pas, et plus je deviens capable non seulement de déchiffrer, mais aussi d’entendre les sons du piano en phantasia… même lorsque je n’ai pas de piano à portée de main.

EM : Je ne sais pas si vous avez lu l’entretien avec François Moysan,[5] il parle de cela justement. Je me posais cette question parce que j’ai fait de la maîtrise et je sais lire à vue (jusqu’à un certain point, pas forcément aussi bien avec mon violoncelle qu’au chant, mais quand même). Je me disais qu’il y a une question de mémorisation dans ce cas-là. On a une pratique instrumentale, digitale, une mémoire sonore, et lorsqu’on lit, on réactive ces données sensibles. Dans ma thèse je travaille la notion de hylé parce que je pense (et je ne suis pas la seule car beaucoup de musiciens le disent en entretien) qu’il n’y a pas d’imagination sans perception. Si on n’a pas entendu de sons, il n’y a pas de chant intérieur. D’ailleurs, le batteur Rémi Métral[6] m’explique que, tant qu’il ne sait pas jouer telle ou telle unité rythmique, tant qu’il ne l’a pas intégrée dans son corps, il n’est pas capable de l’utiliser dans l’improvisation. Du coup, il me semble que, si l’on prend la notion de chant intérieur chronologiquement, d’abord on apprend, on apprend avec ses oreilles, on apprend à connecter un symbole avec un nom et un son (en tout cas c’est ce que moi, j’ai appris, dans mon conservatoire français), et plus l’on est capable de connecter ces choses ensembles – lire le symbole, savoir le nom de la note, entendre le son, le jouer, plus on est capable d’inventer, d’utiliser ça. Il y a donc un fondement perceptif… Mémoriser… La mémoire retient des choses. Puis, quand on imagine, on redonne une forme nouvelle à tout cela… De façon un peu pratique, on est capable de voir « ah non, ça je ne peux pas le jouer », « je ne peux pas enchaîner tel ou tel mouvement, ce n’est pas possible au violoncelle », « je ne peux pas lier tel ou tel accord parce que ça sonne mal ». Je pense que ce qui rend capable d’imaginer, c’est l’intégration par le corps qui permet d’imaginer.

SF : Il y a également la possibilité de considérer la perception au sein de la performance musicale comme une forme de phantasia : une phantasia « perceptive » (perzeptive Phantasie).

EM : Je connais cette notion mais je ne l’ai pas encore creusée.

SF : Marc Richir soutient que ce qu’on appelle couramment « perception musicale » est en fait une « perception » en phantasia. Les sons « perçus » en phantasia ne sont pas des objets perçus (wahrgenommen) et ne sont pas non plus des sons mis en image : ils sont en-deçà de l’opposition entre les sons perçus et les sons imaginés. Richir rapproche leur statut de celui de l’objet transitionnel (au sens de Winnicott).[7] On est en deçà de la distinction entre le réel perçu et l’irréel imaginé.

EM : Oui.

SF : Il y a toujours du « perçu » mais… entre guillemets : du « perçu » en phantasia. C’est ce qui fait de la musique produite par un groupe musical ou par un musicien, une sorte de… quelque chose qui ouvre sur de l’infigurable (qui ne relève ni de la figuration par image ni de la signification). Cela relève du langage au sens de Richir… du langage, mais pas de la langue (un système de signes, au sens structuraliste du terme).

EM : Cela me rappelle une expérience que j’ai eue lorsque j’étais plus jeune. A vingt ans, j’ai repris des cours de violoncelle après quelques années d’interruption. Ma prof a remarqué que je jouais presque juste, mais pas tout à fait. Par contre, je chantais juste. Elle m’a donc demandée d’entendre la note dans ma tête, de la chanter, puis de la jouer. Puis elle m’a fait l’entendre et la jouer sans la chanter entre les deux. C’est comme cela que j’ai commencé à jouer de plus en plus juste. Avant, lorsque j’avais 16 ans, j’ai fait un stage de musique où l’on m’avait dit que je jouais un peu « plat ». Le truc c’est que j’entendais plein de choses dans ma tête, ce n’était pas du tout « plat » ! Et puis je me suis demandé comment je pouvais jouer « plat » alors que je sentais la musique : j’avais grandi dans une famille musicienne, je ne comprenais pas ça. Ma prof russe m’a alors dit que je ne m’écoutais pas. Qu’est-ce que j’entendais alors ? Je me suis rendu compte qu’en fait, j’entendais une sorte de version améliorée de ce que je jouais vraiment : comme j’entendais juste dans ma tête, lorsque j’entendais le son de mon violoncelle j’entendais quelque chose de plus juste que ce que je jouais vraiment. Je percevais quelque chose qui était amélioré par mon imagination en quelque sorte. Ce qui m’a fait progresser, c’est alors d’apprendre à percevoir vraiment ce qui était joué, et à écouter vraiment mon chant intérieur. En gros, à être capable de distinguer vraiment la performance du chant intérieur, afin de pouvoir faire cet aller-retour entre les deux, et ensuite d’avoir un chant intérieur plus riche, et une performance plus adéquate au chant intérieur. Cette distinction m’a permis d’avoir aussi un chant intérieur plus élaboré. Avant, mon chant intérieur était trop coloré par ma performance, et comme je ne suis pas une musicienne professionnelle, il était limité par ce que j’étais capable de faire, et donc moins bon que ce qu’il aurait pu être. Je trouve ça intéressant l’idée d’une perception dans l’imaginaire. En même temps, j’aurais envie de maintenir l’idée d’une perception qui est une vraie perception, une perception perceptive, parce que j’ai l’impression que, si l’on accentue trop le côté imaginaire, on perd le fait que l’important, c’est de jouer juste, que ce que je joue soit vraiment ce que les autres entendent. Je ne sais pas ce que vous pensez de cela…

SF : C’est aussi intéressant que complexe. Bien sûr, lorsqu’on apprend un nouveau morceau, on peut avoir besoin d’un point de référence perceptif objectif tel que le battement du métronome. Cela permet de prendre le temps et, si l’on joue à plusieurs, de s’accorder plus facilement. Mais… si l’on reste au niveau de la perception (Wahrnehmung), y a-t-il vraiment du temps musical ? J’ai l’impression que, plus on rentre dans le morceau et plus le perceptif est modifié en phantasia, plus on est dans une phantasia « perceptive », qui n’enferme pas l’interprète dans un monde solipsiste mais l’ouvre au contraire aux autres (qu’il s’agisse des autres musiciens ou des auditeurs). De même, je crois que le temps musical n’est pas simplement un temps perçu et que la temporalisation de l’exécution relève fondamentalement d’un autre registre temporel : un registre temporel qui n’est plus ni objectif ni subjectif, mais en deçà de cette distinction ; un niveau temporel « pré-immanent »[8].

EM : Je pense qu’il faut séparer la question de la justesse de la question du temps. La justesse est quelque chose qui doit rester quand même relativement objectif pour moi. Même si ma prof russe m’avait fait remarquer que, même les grands musiciens, si on écoute attentivement, ne jouent pas tout à fait juste. Elle me disait que même Rostropovitch ne jouait pas juste parfois. Pourtant, moi, je ne l’entends pas toujours. Cela veut dire que j’entends juste quelque chose qui ne l’est pas forcément. J’entends plus juste que ce qui est. C’est un cas de phantaisie perceptive je dirais. Le perçu est transformé par l’imaginaire. Mais tout de même, il faut essayer de jouer juste. Il y a un seuil limite. Une certaine objectivité. Parfois c’est à côté, et parfois ça va. Ensuite, pour le temps, je pense qu’il y a plusieurs strates. Après l’entretien avec le batteur Rémi Métral, j’ai développé le concept de « pulsation intérieure » qui est, à mon avis, cette temporalité pré-immanente que vous mentionniez tout à l’heure. Je pense qu’il y a une temporalité qui est située en-deçà de la temporalité du chant intérieur. Lorsqu’un musicien commence à jouer, avant de jouer, et donc avant de déployer la temporalité propre au chant intérieur réalisé, il respire, prend la pulsation, et joue. Cette temporalité primaire n’est pas encore la temporalité de l’objet, mais c’est une temporalité qui conditionne la saisie de l’objet. Cette temporalité n’est pas une temporalité de métronome. C’est une temporalité intérieure. C’est une temporalité du corps.

SF : Hum.

EM : Avec ma prof russe, j’ai très peu travaillé avec le métronome. Par contre, elle me faisait prendre la pulsation avant de commencer, en moi.

SF : Voilà.

EM : J’ai aussi interviewé un musicien qui enseigne le solfège Dalcroze,[9] et il a parlé de cette temporalité primordiale qui correspond à la saisie d’un changement d’équilibre : on se balance d’un pied sur l’autre, on sent le changement de balance. Et cela se voit tout le temps : il n’y a pas un musicien qui arrive et clac ! commence à jouer. En général, il y a un temps où l’on prend la pulsation. Ou si l’on arrive et commence directement, c’est qu’on a pu sentir cette pulsation avant. Pollini arrive à son piano, respire, commence. Un musicien de jazz prend la pulsation, trois, quatre, et tac ! Un musicien folk tape du pied. Je pense que ça, c’est le temporalité pré-immanente du chant intérieur. C’est une temporalité primitive qui est une « succession statique » : ce qui compte, ce n’est pas le présent d’une impression qui donne lieu à une rétention, etc., c’est juste chaque battement qui arrive, égal à celui qui précède, régulièrement. On cherche juste à saisir une succession, dans un certain tempo, et c’est à l’intérieur de cette structure que la temporalité du chant intérieur se déploie. Mais ce temps musical n’est qu’une succession prise dans le corps. Le batteur parle vraiment de cette temporalité comme d’une temporalité de mon cœur qui bat, ma respiration etc.

SF : Je trouve ça très intéressant. On peut commencer à apprendre un morceau en se référant au temps objectif du métronome, mais plus on l’apprend, plus on rentre dans le morceau, et plus la temporalité musicale est d’un autre ordre : une temporalité leiblich. Je trouve cette idée de pulsation intérieure très intéressante, même si je ne la définirais pas pour ma part comme « succession statique ».

EM : Après je ne sais pas comment on pourrait la traiter. Pour le moment j’ai travaillé à partir de la description husserlienne des différentes strates de l’ego dans Ideen 2, et j’ai remarqué que Husserl parle du eingefühltes reines Ich.[10] Donc, au début de son analyse de l’ego, Husserl abstrait le corps pour pouvoir analyser l’ego. Ensuite le corps revient puisqu’il parle de cet espèce d’ego empathique. Dans mon analyse à moi, je comprends la pulsation intérieure comme une sorte d’auto-affection, je pense que c’est de l’ordre de l’ego constituant, je dirais que l’ego phénoménologique qui saisit l’objet a déjà une temporalité corporelle, charnelle…

SF : C’est vrai que Husserl parle de l’ego à plusieurs niveaux… Il parle notamment d’un Ur-Ich, qui est en deçà de tous les pronoms personnels. On peut l’appeler ainsi, faute de mieux… Il est en deçà du système d’opposition entre les pronoms personnels… On pourrait se demander s’il ne vaudrait pas mieux l’appeler Selbst : un soi qui se temporalise, mais de manière pré-immanente. Je me demande si on ne remarque pas mieux la distinction entre la spécificité du temps musical par rapport au temps objectif lorsqu’on considère l’exécution d’un morceau par un ordinateur. Il existe des logiciels qui exécutent à la perfection une partition donnée, mais à mon sens il n’y a là plus grand-chose de musical. Je pense que c’est dû au fait que le seul temps auquel peut se référer un ordinateur est constitué par des présents et correspond au temps objectif du métronome. L’ordinateur joue tellement à temps, que paradoxalement ce n’est plus musical.

EM : J’ai récemment répondu à un appel à communication de l’association Wassard Elea en Italie,[11] qui était sur le thème de l’improvisation et des machines. En travaillant sur ma communication, je suis arrivée à la conclusion que non, la machine n’improvise pas, parce que ce qu’elle joue n’est pas fondé sur une temporalité pulsée, sur une temporalité du corps. Ensuite, il n’y a pas de chant intérieur. Quand on analyse la même interprétation du même morceau par dix musiciens différents… J’ai fait ça pour mon premier master à la sorbonne en 2009 : j’ai comparé la même interprétation du premier « Prélude » de la quatrième Suite pour violoncelle de Bach par six musiciens. Il y avait une différence de deux minutes entre le plus rapide et le plus lent. Et pourtant, aucun ne semblait trop lent, ou trop rapide. Je pense maintenant que c’est la manière dont les musiciens incarnent la musique qui fait la différence : lorsque la temporalité est ressentie dans le corps, elle est ressentie comme juste. Si l’on regarde des enfants faire une audition de musique, certains sont étouffants parce qu’ils sont trop rapides, et d’autres ennuyeux parce qu’ils sont trop lents. Je ne pense pas que ce soit une question de temps objectif (qu’ils soient objectivement trop lents ou trop rapides) mais plutôt que c’est une question de pulsation intérieure : ils jouent sans avoir saisi la pulsation intérieure au préalable. Comme quelqu’un qui parlerait trop vite parce qu’il ne respire pas. On dit ça d’ailleurs : « respire ton jeu », « respire ta musique », « respire avec ton archet ». Je pense que c’est une temporalité dans le corps… encore plus profonde que les kinesthèses… une temporalité qui est dans les niveaux profonds du corps qui respire, qui sent, avec un corps qui bat. Quand on arrive à sentir cette pulsation… C’est ce que font les jazzmen lorsqu’ils commencent à jouer et prennent la pulsation : ils n’attaquent pas direct, il y en a un qui prend la pulsation, ils se regardent, et ils démarrent. Je pense que ça se passe entre mon corps, ma respiration, etc. Effectivement, les machines ne respirent pas la musique donc ça a beau être juste, ce n’est pas respiré, donc ça ne sonne pas bien.

SF : Voilà. À ce propos, puisque vous parlez des musiciens de jazz, ce qui m’a toujours frappé c’est la question du swing : non pas le swing comme genre musical des années 30 et 40, mais comme rythmicité propre au jazz en général. On dit qu’il a quelque chose d’indéfinissable. Chaque musicien a sa manière de swinguer, sans que l’on puisse dire qu’il y en ait une meilleure que l’autre. Alors évidemment, on peut l’écrire, mais l’écrire ne permet pas encore de le définir. On peut déchiffrer correctement la transcription d’un solo de Bill Evans sans avoir le swing. De quoi cela dépend ? Cette indéfinissabilité du swing montre peut-être qu’il relève d’un autre registre temporel que le temps du métronome : une temporalisation pré-immanente et charnelle que l’on pourrait définir comme pulsation ou vibration (Schwingung).

EM : Oui… A la fin de l’appel à communication de cette association en Italie, la question était : « peut-on enseigner l’improvisation ? ». Je me suis dit que ça, c’est quelque chose qu’on ne peut apprendre qu’en ayant un professeur à côté qui nous fait sentir le truc. Je me souviens être allée à une conférence sur le rubato dans la musique pianistique de Chopin, c’est pareil.

Ou alors, une fois j’étais à Vienne et il y avait un concert à ciel ouvert des Valses de Strauss, et mon père a dit : « il n’y a que les autrichiens pour sentir la valse comme ça ! ».

Ce n’est pas quelque chose que je peux saisir tout seul non plus. C’est quelque chose que j’apprends en m’inscrivant dans la tradition, la succession de musiciens qui ont appris à jouer de telle ou telle manière. C’est ce qui se passe avec les musiciens folk. Il y a des choses qu’il faut sentir. C’est vraiment de l’ordre du sentir-avec quelqu’un. Cela ne s’enseigne qu’en étant avec quelqu’un qui va vous faire sentir ce que lui ressent. Cela se passe à des niveaux élémentaires.

SF : Oui. C’est une question d’Einfühlung mais peut-être pas simplement au sens husserlien. Je pense plutôt à la phantasia « perceptive » au sens richirien… qui n’est pas un mélange de deux actes qui existeraient indépendamment l’un de l’autre. C’est plutôt ce qui est à la base aussi bien de la perception (Wahrnehmung) que de l’imagination. Elle relève d’un niveau qui est en-deçà des actes objectivants et qui correspond, dans les termes de Winnicott, à l’aire transitionnelle… Aire transitionnelle sur laquelle s’édifie le monde culturel.

EM : Hum. Vous dites que cette phantaisie perceptive est la base de la perception et de l’imagination ?

SF : Oui. Ou plutôt la condition de possibilité génétique aussi bien des actes perceptifs que des actes imaginatifs.

EM : C’est vraiment quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Je me suis demandé ce qui était le point de basculement entre imaginer le chant intérieur et percevoir sa réalisation dans la performance lorsqu’on pratique son instrument. En fait, il me semble que c’est la pulsation intérieure : lorsque je joue mon instrument et que j’écoute mon chant intérieur, je suis dans la même pulsation intérieure. Qu’est ce qui me permet de passer de l’un à l’autre ? C’est le fait que cela reste dans le même champ de cette pulsation sentie. C’est le corps. Ce que j’entends en imagination va au même rythme que ce que je joue. Après, il y a peut-être un léger décalage. On le voit avec Keith Jarrett qui chante à voix haute en jouant. Je pense que c’est parce qu’il est absorbé dans son chant intérieur qu’il est capable de connecter si bien avec son piano. Et le point commun entre ce qu’il joue et ce qu’il imagine, c’est qu’il est toujours dans cette même pulsation sentie. C’est dans le corps qui respire. Peut-être cette auto-affection de moi me sentant moi-même. C’est là que se constituent le chant intérieur dans l’imagination, et ce que je suis en train d’offrir à la perception avec mon instrument.

SF : Je trouve cette idée de pulsation intérieure intéressante, même si je ne la concevrais pas pour ma part comme auto-affection. Je me suis en effet occupé de Eugen Fink. Et, pour Fink, la temporalisation est dans son acception plus fondamentale une Schwingung.[12] On peut traduire ce terme par « pulsation », « vibration », « oscillation »…

EM : Oui… c’est vraiment ça je crois…

SF : On peut considérer ce niveau comme étant aussi bien à la base de la perception que de l’imagination. Par contre… naturellement il faut penser cette pulsation comme quelque chose de charnel, de leiblich.

EM : Oui oui.

SF : À ce propos, ce qui m’a toujours fasciné, c’est la relation très intime, très étroite, entre le musicien et son instrument… L’instrument du musicien n’est de toute évidence pas un Körper… ou bien il ne l’est que pour les personnes qui n’en jouent pas. Pour certains, le piano est un meuble comme les autres : on pose des pots de fleurs sur le piano, on arrose les fleurs sur le piano ; une amie de famille m’a même confessé qu’un membre de sa famille avait fait couper le piano que lui avait légué son grand-père pour une question de place. Comme s’il s’agissait d’une table… Quand elle m’a raconté ça, j’ai ressenti comme une sorte de blessure. Car de mon point de vue le piano est une sorte de prolongement de mon Leib. Pour un musicien, je crois, l’instrument est un prolongement du Leib. Donc, amputer un instrument, l’endommager, signifie amputer les possibilités expressives du Leib.

EM : Je suis d’accord avec vous, il y a vraiment un rapport affectif à l’instrument. D’ailleurs, dans mon parcours j’ai dû apprendre à aimer mon violoncelle. Avec l’adolescence, les difficultés techniques, j’avais fini par en avoir peur. Je le tenais mal. J’étais mal à l’aise. J’ai dû apprendre à recréer une relation affective à l’instrument. Cependant, s’il y a des musiciens pour qui l’instrument est partie essentielle de leur chant intérieur (comme Michelangeli qui emmène son piano partout avec lui en le faisant démonter et remonter pour chaque concert), il y a aussi des musiciens pour qui c’est secondaire (comme un organiste qui va aller jouer dans plusieurs tribunes). Dans le second cas, le musicien a tellement intégré son « son » qu’il est capable de le reproduire peut importe l’instrument. Le musicien recréé ce lien affectif sur de nouveaux instruments en quelque sorte…

SF : … ah oui mais ce n’est pas toujours évident. Il y a des instruments que l’on peut transporter assez facilement, mais le piano ou l’orgue n’en font pas partie… C’est vrai que le pianiste est obligé de se familiariser avec le piano avec lequel il va jouer… Dans le meilleur des cas il aura un Steinway qui sonne à la perfection, mais parfois ce sera un piano avec des difficultés mécaniques, et pour le faire vibrer comme il le souhaiterait… ce n’est pas toujours évident…

EM : J’imagine que le musicien qui fait le tour du monde a travaillé auparavant à créer cette relation de miroir entre ce qu’il joue et son chant intérieur, et que, lorsqu’il reprend un nouvel instrument et qu’il va sur une nouvelle scène, il doit être capable de recréer cette relation d’image, malgré un miroir qui n’est pas exactement le même que celui qu’il a à la maison. Cela veut dire qu’il y a dans l’instrument quelque chose de kinesthésique intégré dans le chant intérieur qui va rester d’un instrument à l’autre, et quelque chose qui va devoir être adapté à cause de la différence d’instrument (les distances dans le mouvement ne sont pas forcément les mêmes d’un instrument à l’autre…).

SF : oui.

EM : Cela veut dire que, dans le chant intérieur, il y a une mémoire de l’instrument et de comment il sonne… et il y a aussi autre chose…

SF : Oui. Il y a la possibilité de se détacher de l’instrument. Lorsqu’on se retrouve sur un autre instrument, on a la possibilité, grâce à ce chant intérieur, de retrouver quelque chose de l’instrument qu’on avait intériorisé. C’est un problème fascinant… Je n’ai pas vraiment de réponse… Mais comme vous l’avez dit, cela reste bien un rapport affectif…

EM : Lorsqu’on reconnaît un musicien à son « son », qu’on entend jouer deux secondes et que l’on reconnaît tout de suite… Pour la voix, il y a Cecilia Bartoli par exemple.

Dans son cas à elle, évidemment, c’est son corps, on pourrait penser que c’est normal de la reconnaitre immédiatement. Mais il y a des chanteurs qu’on ne reconnaît pas si facilement comme cela. Et il y a des instrumentistes que l’on reconnaît aussi bien qu’on la reconnaît, elle. On les entend à la radio et on pense, « ah, c’est lui », tandis qu’avec d’autres non. Je ne pense pas que ce soit lié à l’instrument. Ils ont un son qu’ils peuvent faire sortir par d’autres instruments.

SF : Oui. C’est la question du toucher… après ça dépend aussi de ce qu’ils jouent : il peut s’agir d’un morceau classique qui a toujours la même forme ou d’un standard de jazz, où l’on reconnaît aussi leur style d’improvisation.

EM : Lors de mon master 1 en 2008 à la Sorbonne, j’avais travaillé sur la notion de « toucher ». Je trouve ça intéressant : qu’est ce que c’est le « toucher » d’un point de vue phénoménologique ? C’est comme la question du swing ou du rubato, on sait ce que c’est par expérience, mais si l’on veut le définir, c’est difficile d’expliquer ce qu’on entend par là !

SF : Je pense que cela relève du Leib et de ses kinesthèses. Après cela dépend de l’instrument… Avec le piano par exemple, les notes sont là. Avec le violoncelle ou avec une trompette, il faut les trouver,… La question se pose de manière différente pour chaque instrument… On pourrait dire (à titre d’hypothèse) que cela relève de l’approche charnelle du musicien à son instrument.

EM : Et comment est-ce que cela se fait qu’on ait des « écoles de son ». Un son « russe », ou « français », etc… Il me semble que le « toucher » soit aussi quelque chose qu’on apprend de nos professeurs… dont on hérite. J’ai bien vu que mon « toucher » a changé lorsque je suis passée d’une prof française à une prof russe… Certains musiciens disent que mon « toucher », c’est mon corps, c’est-à-dire qu’il sera différent selon que je sois maigre ou non, que j’ai des doigts longs ou courts, des mains ramassées etc… C’est donc aussi mon corps… Pas seulement l’instrument… Puis il y a la préhension… Pour moi, dans le toucher il y a trois choses : le corps, l’instrument, et le mode de préhension de l’instrument.

SF : L’instrument oui… le mode de préhension de l’instrument… et le corps… Mais d’un point de vue phénoménologique il faudrait mettre entre parenthèse le Körper… Ce qui nous reste, c’est le Leib et ses kinesthèses. Donc effectivement, la préhension de l’instrument relève de ces kinesthèses, de cette approche charnelle de l’instrument. Cela dépend du geste. Je peux m’approcher des touches de différentes manières, avec un poids différent, avec des gestes différents, et ces gestes, je les apprends de mon professeur comme vous le disiez…

EM : …et en m’entendant même parfois !

SF : …et en m’entendant. Effectivement… On essaie, on commence à jouer et puis on se dit « ah non, ce n’est pas le bon son », et on cherche la bonne manière de toucher les notes… pour ce morceau là… parce que cela dépend aussi du morceau que l’on joue…

EM : C’est lié à la technique…

SF : C’est bien lié à une tradition. On peut comprendre pourquoi il y a des écoles de son. Comme il relève d’un habitus kinesthésique, le toucher est quelque chose qui s’apprend, qui peut être transmis par une tradition, par une école. Naturellement, il dépend aussi de la singularité du musicien, de ce qu’il est, de ce qu’il ressent.

EM : Je pense que, dans l’apprentissage du toucher, il y a aussi la manière… en tout cas moi, j’ai beaucoup appris lorsque ma prof russe m’a montré par le toucher. Elle mettait sa main sur ma main pour me faire sentir le poids de l’archet. Elle mettait ses mains sur mes épaules pour me faire ressentir la détente musculaire, etc. Elle m’apprenait à sentir les choses en me faisant sentir son poids à elle. Ce qui ne fonctionnait pas avec ma prof d’avant, c’est qu’elle me parlait surtout. Moi, j’avais besoin de sentir. Je ne comprenais pas seulement par le langage. Le chant intérieur, c’est concret. C’est dans le corps. Il n’y a rien de mystique. C’est pratique, terre à terre. Les musiciens apprennent à sentir avec le corps le poids de l’instrument… Une fois, j’ai essayé une contrebasse, et j’étais perdue ! Je n’avais pas l’habitude de ce volume de l’instrument. Je n’étais pas habituée. Plus on décrit le chant intérieur, plus on se rend compte que c’est un type de phantaisie… Le chant intérieur est infusé dans le corps. Il est dans le corps. C’est le fondement. Ce n’est pas comme en peinture où l’on pourrait avoir l’impression que le corps du peintre ne compte pas tant que cela. Avec la musique, lorsqu’on commence à étudier vraiment ce qu’est le chant intérieur, au début on pense que c’est une chanson dans la tête, désincarnée, mais plus on rentre dans la description plus on se rend compte que c’est sentir le balancement d’une jambe à l’autre, c’est respirer avec son archet, c’est sentir le poids de l’instrument, c’est se muscler pour avoir le corps qui va permettre d’appréhender l’instrument… Lorsque j’ai repris un violoncelle ici après une année sans jouer parce que j’ai laissé mon instrument aux USA, je me suis rendu compte que je n’avais plus le corps d’une violoncelliste. Je n’avais plus les muscles. Mon son ne sortait plus du tout pareil. Je n’avais plus la musculature de mon chant intérieur. On n’y pense pas, mais il y a une musculature qui va avec l’instrument. Il faut développer un corps qui va avec l’instrument. Je ne sais pas comment ça se manifeste au piano, mais c’est sûr que le chant intérieur est très… il est dans mon corps… au sens le plus littéral. Ce n’est pas un objet de phantaisie qui s’incarnerait, c’est… Déjà, il se déploie à partir d’une pulsation intérieure qui est corporelle, et ensuite, il est incarné… Vraiment fascinant. Ce côté corporel est difficile à expliquer phénoménologiquement car il faut comprendre les différentes strates mais…

SF : Effectivement… mais les muscles renvoient plutôt au Körper… au contraire, je pense que le concept d’habitus kinesthésiques du Leib peut permettre de rendre compte de l’exercice du musicien. Parce que tous les musiciens doivent jouer quotidiennement pendant des heures et des heures… il y a des musiciens qui jouent huit heures par jour. Evidemment la question n’est pas de rester devant son piano huit heures, mais de s’exercer de la bonne manière pendant tout ce temps : c’est un exercice quotidien qui a quelque chose de semblable au sport… Un exercice quotidien qui permet d’acquérir ces habitus kinesthésiques dans la manière de toucher l’instrument… Tout simplement, avec les exercices qu’on nous fait faire – les gammes, les arpèges, les accords, ou même les exercices qui servent à jouer un passage correctement en le répétant avec des rythmes différents jusqu’à ce qu’il sonne de la bonne manière… – c’est le Leib qui s’exerce, qui acquiert des habitus kinesthésiques qui deviennent une seconde nature.

EM : Oui.

SF : Il ne faut pas que le musicien y pense. Il faut même qu’il oublie tous ces exercices pour pouvoir jouer son morceau correctement. Parce que si, au moment où il joue un passage délicat, le musicien commence à penser « je dois faire tel ou tel mouvement ou mettre mes mains dans telle ou telle position », ça ne fonctionne plus. Quand je devais jouer un morceau en public après l’avoir étudié mainte et mainte fois, si pendant l’exécution je me focalisais sur tel ou tel passage, généralement quelque chose se passait mal.

EM : Oui.

SF : Pendant la performance musicale, il ne faut pas penser. Lorsqu’elle se passe bien, on ne pense pas à la performance elle-même, on est dans la musique. On est dans la musique et dans ce qu’elle cherche à dire.

EM : Hum.

SF : Sans qu’on sache forcément ce qu’elle cherche à dire. Mais on est dans un processus où du sens musical est en train de se faire. D’ailleurs, je trouve que, dans le jazz, un dialogue musical se construit sur scène… Dans l’improvisation, notamment, il y a beaucoup de possibilités de dialogue entre un instrumentiste et l’autre. Par exemple, un musicien peut reprendre un motif mélodique du solo de l’autre, pour le développer à son tour et lui répondre d’une certaine manière. Ou encore, il y a d’autres interactions possibles aussi bien au niveau rythmique qu’au niveau harmonique. Au niveau rythmique, par exemple, dans un petit groupe (par exemple, un quintette) le musicien qui fait son solo peut appeler la section rythmique à redoubler le temps. Il y a différentes possibilités d’interactions qui me font penser que, dans cette forme musicale, la performance musicale prend la forme d’un dialogue contingent entre différentes voix, entre différents instruments…

EM : Oui. Alors, pour revenir à ce que vous disiez sur le corps, en plus de la musique je fais aussi de la danse classique, et c’est cette pratique qui m’a fait comprendre l’intérêt des gammes. J’ai mis du temps à comprendre l’intérêt des gammes alors que j’adore la barre au ballet. La barre n’est rien d’autre qu’une préparation du corps pour ce qui va se passer après dans les enchaînements. Il me semble beaucoup plus évident, même si c’est à mon avis exactement la même chose que pour le musicien, que, dans le ballet, pour pouvoir faire un relevé, développé, soutenu, il va falloir créer un corps capable de faire ça. Par des étirements, des battements, tendus, etc. Dans les cours de danse, il y a vraiment deux moments : la barre, le milieu, avec une pause entre les deux.

A Pittsburgh là où j’allais il y avait une heure de barre, dix minutes de pause, trente minutes de milieu. Alors dans la musique, c’est moins clair. Cela dit, je pense qu’il y a aussi cette création d’habitus par des exercices, des gammes… Pour les musiciens de jazz la pratique du relevé, d’imiter les solos, d’apprendre les enchaînements, etc. Ensuite on oublie la barre et on infuse le sens. A ce moment, tout ce qu’on avait fait avant de demi-pliés, grand-pliés, relevés etc., tout cela devient… c’est oublié comme vous disiez… et ça devient vivant. C’est-à-dire que c’est intégré dans une chorégraphie où l’on va devoir faire relevé, pirouette, etc… Je pense que c’est quand ça devient partie d’un chant intérieur (pour la danse partie d’un mouvement, d’une danse intérieure) que le corps déjà préparé est capable de se mettre en action. Si l’on commence à penser à ce que l’on fait, on est fichu. Je me souviens avoir fait des auditions où j’étais paralysée à l’idée d’un déplacement qui devait arriver et que je n’avais pas encore fixé de façon juste. J’étais bloquée parce que je savais que je ne tombais pas juste à tous les coups. Je me souviens que je sentais le truc arriver trois portées à l’avance… C’est sûr, à ce moment-là, on bloque. Donc il faut être capable d’avoir répété, et ensuite, que le corps marche presque tout seul, sans qu’on ait à se rappeler la difficulté qu’on a eu lorsqu’on a appris le truc en question.

SF : Voilà. Je suis d’accord.

EM : Je pense à Bergson. Je pense qu’il y a vraiment quelque chose d’une seconde nature. Je ne sais pas chez Husserl où je pourrais chercher pour décrire cela, mais il y a vraiment un processus d’apprentissage par la répétition, et ensuite, lorsque c’est intégré dans une image, une vision musicale, on oublie le côté technique et ça devient vivant. Au début de mon travail, je demandais aux musiciens ce qui fait la différence entre une interprétation musicale et une interprétation mécanique, qu’est ce qui fait qu’on dit lors de l’audition de fin d’année d’un petit qu’il « sent le truc », et d’autres qui ne sentent pas ? Je pense que certains n’ont pas fait le passage de l’apprentissage technique à la vision. Ils n’écoutent pas leur chant intérieur. Et je suis sûre que si on les fait chanter, ce sera musical en fait !

SF : Ah… donc si on les faisait chanter, d’après vous, ils réussiraient mieux ?

EM : En tout cas, si je devais faire débuter des petits, je leur ferais poser leur violoncelle, et je leur dirais : « maintenant chante dans ta tête, et chante-moi ce que tu entends ». Pendant une année j’ai eu des cours avec un étudiant du CNR de Versailles. Il me faisait poser mon violoncelle et chanter debout en me balançant sur le mouvement. Là, je pense que cela devient un corps vivant. Je ne suis plus dans la mécanique. Je n’apprends plus à aller d’un endroit à un autre sur mon instrument. Mon mouvement est vivant. Il est animé. Au sens littéral où il devient vivant parce qu’il est intégré dans mon corps vivant. Ce n’est plus…

SF : Je crois que l’affectivité joue un rôle décisif dans ce processus. D’ailleurs, pour Richir la phantasia est toujours affection. La phantasia est toujours habitée par de l’affection et, plus en profondeur, par l’affectivité. Pour penser la différence entre un jeu mécanique (qui n’est pas à proprement parler un jeu), et un jeu réussi, il faut considérer la manière dont l’affectivité entre en jeu dans les deux cas. Il se pourrait que celui qui joue mécaniquement soit coupé de son affectivité… partiellement en tout cas… mais ce n’est qu’une hypothèse.

EM : Justement, Rémi Métral raconte dans l’entretien comment il a eu une élève qui ne sentait pas du tout le rythme. Il raconte que, s’il fasait les choses avec elle, elle sentait, mais s’il demandait de sentir la pulsation, elle ne sentait pas. Je lui ai donc demandé, un peu pour rire, si elle venait d’une famille bourgeoise coincée où l’on n’exprime pas les émotions… et c’était un peu ça ! Les émotions ne sortent pas trop. Lui vient d’une culture différente où l’on ne lui a pas appris à contrôler ses émotions. Il laisse les choses sortir comme elle viennent. Justement, je pense que dans la capacité à exprimer son chant intérieur, il y a la capacité imaginer quelque chose, à l’exprimer parce qu’on a une technique suffisante pour ça, et ensuite à libérer ses émotions dans la musique. Si l’on regarde la jeune fille qui vient de gagner la compétition Menuhin 2021, on voit qu’elle lâche tout sur scène.

Cette petite jeune fille de 18 ans joue merveilleusement bien. Je la trouve extraordinaire. Et je pense que c’est parce que c’est animé, au sens où elle y donne son âme, elle fait sortir… elle pleure avec son violon… C’est la capacité à être à nu qui rend capable d’exprimer quelque chose par sa musique. Je n’ai pas encore trop creusé le thème de l’affectivité chez Husserl mais…

SF : En fait je ne pense pas tellement à Husserl, mais plutôt à ce que Fink dit du jeu en général. On pourrait reprendre les traits qu’il emploie pour caractériser le jeu en général et les appliquer au jeu musical. Fink montre que le jeu implique une suspension du temps quotidien, une autre forme de temporalité, ne serait-ce que comme parenthèse. Il parle du jeu comme « oasis de bonheur ». Le jeu consiste pour lui dans une double ouverture : d’une part une ouverture de phantasia au monde du jeu – dans notre cas, une ouverture de phantasia à un monde sonore, qui présuppose toujours le Leib – donc un Phantasieleib avec ses habitus kinesthésiques. Mais cette ouverture est pour lui avant tout une ouverture affective : le monde du jeu, le monde sonore dans notre cas, s’ouvre dans une Stimmung. Il dit que le jeu implique une sorte de plaisir. Il parle de deux sortes de plaisir : le plaisir dans le jeu (liés aux événements qui se produisent dans le jeu) – et le plaisir de se prendre au jeu (le plaisir de se laisser emporter, ravir par le jeu, sans que cela implique une forme de narcissisme). Je pense que le musicien doit vivre le plaisir d’être emporté par la musique pour pouvoir transporter l’auditeur ailleurs.

EM : Hum.

SF : Il y a une dimension affective qui est – je crois – tout à fait fondamentale. Après, elle change d’un genre musical à l’autre… Je pense qu’il faut qu’il y ait ce plaisir dans le jeu et ce plaisir de se prendre au jeu.

EM : Oui. La capacité à « décoller » presque. A décoller et à faire décoller du réel. Les enfants qui jouent… il y a un moment où on décolle avec eux. J’étais chez des cousins avec une petite fille de quatre ans et demi qui faisait des cabanes l’autre jour. Elle voulait m’inviter « chez elle », on a fait semblant de boire du café, je lui disais « hum, ton café est trop chaud, trop froid, parfait ». Ce qui marche dans ces cas-là, c’est qu’on rentre dans le jeu, on se fait ravir par le jeu. C’est vraiment émotionnel. Il faut montrer à l’enfant qui vous donne un bol de plastique avec rien dedans que « hum, elle est délicieuse ta soupe, tu as mis des carottes ? des poireaux ? ». Il faut imaginer. On créé un monde ensemble. On créé ensemble. J’ai passé deux heures, avec cette petite cousine, à inventer des histoires avec presque rien. On parlait juste. On a imaginé des choses ensemble pendant deux heures. Tout le jeu consistait à créer un récit à deux. C’était une sorte d’improvisation. C’était vraiment magique. Et maintenant je pense que c’est la capacité à sentir les choses… C’est fou qu’on ait pu passer deux heures à parler comme ça… à inventer des trucs ensemble… avec rien… Je pense que c’était la capacité à ressentir ce que l’enfant voulait faire ressentir qui comptait. Le plaisir de manger. La peur des monstres dans les cabanes. La joie.

SF : Fink parle du jeu en général mais il dit que c’est une aptitude que nous développons depuis notre plus tendre enfance. On pourrait mettre en relation le jeu de l’adulte, et même sa forme la plus élevée, le jeu artistique (en l’occurrence, le jeu musical), avec le jeu enfantin, au sens où l’un est d’une certaine manière un développement de l’autre et au sens où, quelque part, l’un rappelle l’autre.

EM : Oui.

SF : Par exemple, le bol en plastique que vous évoquez, si on le prend en perception (Wahrnehmung), est un bol vide, mais si on le « perçoit » en phantasia, – ce qui est déjà quelque chose de plus archaïque que d’avoir une perception (Wahrnehmung) –, cette Perzeption (que l’on traduit en français par « perception » entre guillemets, pour signifier qu’il ne s’agit pas d’une Wahrnehmung)… Donc, si on « perçoit » ce bol en phantasia, on n’est plus dans le monde perceptif. On n’est pas non plus dans un monde imaginaire, comme si l’assiette était l’image de quelque chose. On a plutôt affaire à un objet transitionnel… Ce n’est pas un symbole ou une image qui renvoie à quelque chose d’autre, mais la présence d’un monde-de-phantasia partagé. La présence d’un monde-de-phantasia qui n’est pas figurable : la phantasia « perceptive » (au sens de Richir) est la phantasia d’une Sachlichkeit infigurable, que l’on peut par contre ressentir… affectivement… De son point de vue, la musique aussi relève de la phantasia « perceptive ». De même que le petit enfant a des jouets qui lui permettent de jouer (c’est leur fonction) et qui ouvrent donc au monde du jeu, le musicien a l’instrument musical, qui ouvre un monde sonore. Et ils l’ouvrent sur un même mode : celui de la phantasia « perceptive ».

EM : En vous écoutant, je me disais qu’on ne va pas amener le public à avoir du plaisir à manger une fausse soupe dans la musique, mais qu’on va faire ressentir la joie au public, la tristesse, la nostalgie. J’ai l’impression que le côté affectif est celui qui reste. C’est le plus important. Aārp[13] dit dans son entretien qu’il « emmène les gens » dans telle ou telle dimension… et quand je pense à certains musiciens qui sont très touchants sur scène, je me dis que, là où ils nous emmènent, c’est vraiment dans un monde d’émotion en fait. Dans un monde de… Oui… Je dirais que c’est vraiment ça… L’espace du jeu, je dirais que c’est l’espace émotif… Où ils vont nous faire pleurer, ou rire, ou ressentir des choses difficiles pas très identifiables, où ils vont nous connecter avec certains événements de notre vie où l’on a entendu la même musique… ou ils vont nous rappeler certains moments… Si je me mets du côté du spectateur… A Pittsburgh j’allais presque tous les vendredi soir écouter le PSO parce que c’est un orchestre fantastique, et dans certains concerts je rentrais vraiment dans un monde de souvenir : je voyais des endroits où je suis allée, des paysages que j’ai vus… je pense que les musiciens nous emmènent là… en nous… dans notre monde à nous… de souvenir… notre imaginaire…

SF : Quand le musicien est un bon, et que sa performance est bonne, on pourrait peut-être dire qu’il nous remet en contact avec nous-même. Ou qu’il nous fait retrouver une partie de nous-même que… enfin… ce que Winnicott, ou Richir à sa suite, appelle le « vrai soi ».

EM : Oui oui.

SF : Pas l’ego symboliquement institué avec ses rôles sociaux, sa manière de se représenter, son éventuel narcissisme etc., mais une ipséité qui est beaucoup plus archaïque.

EM : Oui. Cela me fait penser à l’incipit du Petit Prince, où Saint Exupéry écrit : « Je demande pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. J’ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde. J’ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfant. J’ai une troisième excuse : cette grande personne habite la France où elle a faim et froid. Elle a bien besoin d’être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l’enfant qu’a autrefois été cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. (Mais peu d’entre elles s’en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace : A Léon Werth, quand il était petit garçon ».[14] Dans son livre ensuite il y a toute cette histoire avec le dessin du boa ouvert et du boa fermé. Les adultes voient un chapeau mais quand le petit Prince arrive, il voit tout de suite que c’est un boa fermé qui a avalé un éléphant. C’est sa capacité… je ne sais pas trop ce qu’il veut dire par là mais… l’enfant voit au-delà de la Wahrnehmung. Et le musicien va au-delà du son pour aller, au-delà du son, dans un son… qui n’est qu’à moi après tout. Il suffit d’écouter un débriefing après concert : « ce musicien m’a touché » « ah non, moi, pas du tout ».  Cela n’a pas grand intérêt à mon avis. Souvent, on ne peut pas dire où l’on a été… pourquoi ça nous a touché… pourquoi tel musicien nous a transporté mais tel autre non… Ces débriefing après concert n’ont pas grand intérêt parce qu’en fait, on est un peu pauvre en mots pour dire ce qui s’est passé.

SF : Oui.

EM : On ne peut pas décrire où l’on est allé.

SF : Non.

EM : Pourtant, on est allé quelque part.

SF : Oui. C’est une forme de langage mais qui permet de dire ce que le langage verbal n’arrive pas totalement à dire.

EM : Je pense que c’est vrai ce que vous dites. Me faire retourner à une sorte de contact avec moi-même… C’est pour ça qu’on écoute de la musique… Dans notre société, s’il y a bien un truc qui marche à fond, c’est la musique. Tout le monde a de la musique sur les oreilles… Cela peut être un moyen de se divertir, mais je pense c’est aussi un moyen de rentrer en soi… de se connecter… si j’ai une peine je vais écouter telle ou telle de musique parce que cela me connecte avec moi-même. Le musicien qui interprète, pour pouvoir transmettre quelque chose, il faut qu’il aille chercher là-dedans. Si je donnais des cours à des enfants, j’essayerais de leur faire faire sortir des trucs. Comme à ma petite cousine de quatre ans à qui j’ai fait raconter des histoires pendant deux heures. Je pense qu’il faut faire sortir ça en fait : « qu’est-ce que tu vois ? », « comment tu l’entends ? », « est-ce que tu peux me le chanter ? ». Même les danseurs, c’est la même chose : pour pouvoir danser ils racontent une histoire. Ce qui importe, ce n’est pas que nous, nous comprenions leur histoire mais qu’eux, ils nous fassent passer une histoire, et que nous, nous puissions nous raconter une histoire en les écoutant. Je ne sais pas si c’est très clair… ce n’est pas l’histoire objective qui compte, c’est la capacité à être… la capacité narrative…

SF : Oui. La capacité narrative… Ce qui suppose que la musique relève du langage… pas simplement de la langue… d’une forme de langage en deçà de la langue… et donc… il peut y avoir aussi une sorte de narration… pourquoi pas.

EM : J’ai interviewé Yan-Pascal[15] et Maxime Tortelier,[16] à deux mois de différence, et les deux m’ont cité le même morceau de Ravel, et le fils m’a raconté ce qu’il imaginait dessus. Je me suis dit : « c’est drôle, ils doivent travailler ensemble, et donc ils doivent avoir un imaginaire commun ». Ils ont appris à lire des partitions ensemble.

SF : Oui.

EM : Ce sont ceux qui ont le plus parlé de raconter une histoire parmi les musiciens.

SF : Raconter une histoire… Essayer de dire musicalement quelque chose qui n’est pas… figurable… que l’on peut par contre ressentir… affectivement…

EM : Oui.

SF : …et de différentes manières selon les différents styles musicaux…

EM : Oui.

SF : Il y a chez Richir un lien assez étroit entre l’expérience esthétique et ce qui est pour lui à l’origine de l’ipséité.[17] Il dit par exemple que dans l’expérience musicale de certaines œuvres (La Passion selon Saint Matthieu de J. S. Bach, la sonate pour piano D. 960 ou le quintette à cordes D. 956 de Schubert), il y a de l’« affection sublime »[18]. Pas toujours. Mais quand cette expérience est réussie, il y a de l’affection sublime. Pour lui, il s’agit d’une « réplique » de ce qu’il appelle le « moment du sublime » : un moment qui n’est pas dans le temps (aussi bien immanent que transcendant) et qui est donc insituable, parce qu’il est à l’origine même de l’ipséité. Donc, d’une certaine manière, dans une expérience musicale réussie, se rejoue quelque chose de la genèse de l’ipséité. Ce pourquoi on se regénère. On se ressource, d’une certaine manière. Souvent, quand je vais écouter à un concert… (la dernière fois je me suis demandé pourquoi je n’y allais pas plus souvent) je me sens regénéré, ressourcé…

EM : Oui. A Pittsburgh j’habitais à dix minutes de la salle de concert, et vraiment, je pouvais arriver dans n’importe quel état, je ressortais en chantant tout le long du chemin du théâtre à chez moi ! C’est vrai qu’il y a… ça vous change en fait ! Avec un chercheur mexicain qui est aussi jésuite, Pedro Antonio Reyes Linares,[19] j’ai parlé de l’expérience d’imagination qui a lieu dans les exercices de Saint Ignace. Il me racontait comment il faut se situer imaginairement dans le passage de la Bible que l’on médite, et ensuite, on revient dans notre vie normale, et à la fin de la session, on raconte comment l’on est changé. Il y a une sorte d’epoché pratique où l’on rentre dans l’imagination, puis le moment où l’on développe… où l’on est dans l’imagination dans un ailleurs, et puis il y a un retour dans la vie où l’on est changé par ce qui s’est passé dans l’epoché. Je pense que c’est pareil en musique : on pratique une epoché,[20] on rentre dans le monde de l’imaginaire, on est dedans, on joue, et ensuite, il y a une sorte d’atterrissage dans la vie quotidienne et on ne réattérit pas comme on est parti. On est changé par l’expérience.

SF : Vous pensez à l’auditeur ou au musicien ?

EM : Les deux ! Il y a beaucoup de littérature sur l’auditeur, pas autant pour l’interprète, mais je pense que c’est pareil. En tout cas, j’ai eu un mois où j’ai pu aller faire du violoncelle dans l’atelier d’un ami peintre ici à Heidelberg (un atelier qui était magique, en soi, à cause de toutes les peintures accrochées au mur, et du lieu dans cette ravissante vieille ville), j’allais dans la pièce, je fermais les yeux (je n’utilisais pas de partition parce que j’en ai apporté très peu ici puisque je n’avais pas de violoncelle de toute façon), je jouais des trucs que j’avais appris par cœur avec Youtube, je jouais pendant une heure, deux heures, puis j’arrêtais, je mettais mon violoncelle dans la boîte, clac ! je retournais dans la rue, et là, il y avait un après quand même…  Il y a un moment où… où l’on est changé par ce passage dans le monde imaginaire… on est changé par la performance…

SF : Tout à fait.

EM : C’est pour ça que François Moysan recommande de passer trente minutes à ne rien faire après une session de piano.

SF : Ah !

EM : Il ne faut pas se remettre tout de suite dans les écrans. Il faut prendre le temps de digérer sa session, de laisser son corps imprimer les mouvements, de laisser l’imagination travailler… C’est une erreur en fait de faire une session de piano puis d’aller sur internet regarder les nouvelles, parce qu’il manque la fin… le moment de clôture de… de ce passage dans l’imaginaire… probablement de la même manière qu’un enfant quand il joue… Je me souviens, lorsque j’étais petite et que j’imaginais des trucs dans ma chambre, il y avait un moment où j’avais fini de jouer, je sortais de ma chambre, et j’étais un peu entre les deux, entre l’imaginaire et le réel. Je pense que si l’on joue dans sa chambre et qu’il y a un adulte qui rentre pour demander « tu fais quoi ? », et qu’on est en plein jeu, on est un peu gêné, on n’est pas très à l’aise… je pense que c’est pareil…

SF : …on nous oblige à sortir du monde du jeu… à moins que l’adulte n’ait envie d’y rentrer…

EM : C’est un peu comme lorsqu’on dit à quelqu’un « sors de tes pensées »… sortir d’où en fait ? Sortir de ses pensées… sortir de sa musique… Je pense qu’il y a un moment où… je ne sais pas si c’est ça la phantaisie perceptive mais… L’organiste Thierry Escaich[21] raconte comment c’est un bruit de métro qui l’a fait inventer le début d’une improvisation. Il y a des musiciens qui disent que ça chante tout le temps dans leur tête. Le violoncelliste Vincent Ségal[22] raconte comment il se chante des trucs dans sa tête en attendant l’avion… présent dans un ailleurs… Alors là, c’est plutôt l’idée de l’attitude naturelle, attitude phénoménologique. Il y a toujours l’attitude naturelle qui est là, puis il y a une autre dimension… Il y a quelque chose à creuser dans cette idée du « lieu »… Où l’on est en fait ?

SF : Où l’on est lorsqu’on est dans l’attitude musicale ?

EM : Où je suis quand je joue ?

SF : … quand je joue…

EM : Lorsque je ferme mes yeux pour faire du violoncelle pendant deux heures, où est-ce que je suis ? Parce que je pense que, plus je suis plongée dans mon chant intérieur, plus je suis connectée avec mon instrument. Donc d’un sens, le rapport de l’attitude naturelle, du perçu, est puissant. On voit bien Keith Jarrett, ou Glenn Gould qui joue du Bach, joue du piano, chante, va à la fenêtre, revient… Il est où là ?

Il est plongé dans son chant intérieur, il part, il fait autre chose, il revient à son instrument, il se reconnecte… Là du coup, phénoménologiquement, il faudrait étudier plutôt les attitudes : attitude naturelle, attitude phénoménologique, la question de l’attention… Il faudrait pouvoir comprendre ce qui se passe lorsque je suis plongée dans mon chant intérieur mais qu’en même temps, je joue du violoncelle. Je pense qu’il y a quelque chose de très intéressant à creuser là.

SF : Oui, c’est très intéressant. Je ne sais pas si l’on peut dire que l’épochè mise en œuvre par le musicien est exactement la même que l’épochè phénoménologique, bien qu’il y ait bien entendu une parenté… La phénoménologie permet de faire quelque chose que la musique ne permet pas de faire… la phénoménologie permet d’élaborer par exemple une phénoménologie de la musique… ce qui n’est pas possible pour la musique elle-même.

EM : Oui oui.

SF : Donc… je me demande si l’on peut simplement identifier ces deux formes d’épochè... Husserl parle parfois d’épochè esthétique. On pourrait dire que c’est une epoché esthétique au sens où… bien sûr, elle ouvre à une dimension phénoménologique… mais d’une autre manière… Quant au rapport entre l’attitude phénoménologique et l’attitude naturelle, c’est une question husserlienne et aussi finkienne dont j’ai tenté de m’occuper.[23] Personnellement, j’ai essayé d’élaborer la question à travers le concept de Schwingung, d’oscillation. Je pense qu’il y a un double mouvement d’oscillation du spectateur phénoménologique qui, d’une part, se dégage de l’attitude naturelle, et, d’autre part, demeure engagé dans l’attitude naturelle de manière impropre ou apparente (pour reprendre les termes de Fink).

EM : Oui.

SF : Et donc il y a ce double mouvement d’oscillation, de Schwingung… Est-ce qu’il y a quelque chose de semblable dans l’expérience musicale ?

EM : Dans mon travail, j’analyse cela comme une epoché pratique, en me référant au travail de Natalie Depraz,[24] et notamment ce qu’elle dit de la réduction comme praxis, une redirection de l’attention. Après, c’est une autre direction que Fink j’imagine…

SF : Peut-être… Je ne me souviens pas ce texte de N. Depraz…

EM : Au début de mon travail, j’ai pensé que lorsque je travaillais mon violoncelle en étant plongé dans mon chant intérieur, il y avait une oscillation entre l’attitude naturelle et l’attitude phénoménologique. En fait non. Maintenant je pense qu’il y a un va et vient entre deux objets phénoménologiques, l’un dans le champ imaginaire – c’est le chant intérieur, et l’autre dans le champ perceptif – c’est la perception de ce que je suis en train de jouer, la réalisation du chant intérieur par la performance. Pendant ce va et vient, il y a un retour possible dans l’attitude naturelle. Par exemple, Keith Jarrett est connu pour s’énerver lorsque les gens toussent dans la salle, et je pense que c’est parce qu’ils le font revenir dans l’attitude naturelle. Husserl raconte cela dans Ideen 1, il décrit comment des enfants qui tombent de la balançoire et se mettent à pleurer peuvent le faire revenir dans l’attitude naturelle. Je pense que pour pouvoir jouer de la musique correctement il faut être engagé dans l’attitude du chant intérieur, tout en étant désengagé de l’attitude naturelle… mais pas trop ! Je dirais qu’il faut être capable de se connecter avec son instrument… Il ne faut pas être tellement plongé dans son chant intérieur qu’on zappe le public, qu’on zappe les autres musiciens, qu’on zappe ce qu’on est en train de faire en fait.

SF : Oui. En fait, je parle de l’épochè transcendantale en considérant l’attitude naturelle comme la situation de l’attitude transcendantale… mais… cette attitude naturelle n’est plus la même qu’« avant » l’épochè transcendantale. C’est une attitude naturelle modifiée… Fink dit qu’en elle le monde ne se constitue plus à proprement parler, qu’il se constitue de manière impropre ou apparente. L’exemple le plus clair est sans doute celui de la langue : le spectateur phénoménologique emploie toujours la langue naturelle, qui implique la croyance en l’être du monde. Cependant, il l’emploie d’une autre manière que l’homme naturel. Il l’emploie d’une manière analogique ou, mieux, métaphorique. Donc le sens naturel (ontique) des mots va renvoyer à un sens transcendantal (mé-ontique).

EM : Oui.

SF : Mais il s’agit d’une métaphore absolue au sens de Blumenberg[25] : ce que l’on va chercher à dire à travers cette métaphore ne peut être dit sur un autre mode. On est donc dans un double mouvement d’oscillation entre l’attitude naturelle et l’attitude transcendantale : on se dégage de l’usage naturel de la langue, mais on continue d’employer la langue naturelle de manière métaphorique. Il s’agit dans les termes de Fink d’une métamorphose de la langue naturelle.

EM : Oui. Je pense qu’il y a vraiment quelque chose à creuser.

SF : Oui. Mais ce n’est pas tout à fait la même forme d’epoché. Simplement, il faudrait arriver à repenser de manière analogue le rapport entre l’attitude esthétique dans laquelle se trouve l’auditeur ou le musicien et sa situation…

EM : Il faudrait analyser la situation du musicien qui joue en écoutant son chant intérieur. Je pense qu’il y a quelque chose à creuser… Quand je joue, je ne suis pas en train d’être présent à la perception de mon instrument devant moi, je suis présent à mon chant intérieur. Par contre, je ne suis pas désengagé à tel point que je me déconnecte de mon instrument. Au contraire ! Plus je suis engagé dans mon chant intérieur… comme mon chant intérieur est kinesthésique, et dans mon corps, encore plus quand je joue un truc par cœur et que j’ai quelque chose « dans les doigts »… c’est justement parce que je me mets dans l’attitude qui me connecte avec mon chant intérieur que je suis capable de m’engager avec mon instrument, dans la préhension de l’instrument.

SF : Hum… C’est intéressant… Donc d’une part, le musicien est dans son chant intérieur, mais est capable de revenir… d’une certaine manière, l’attitude esthétique est une métamorphose de l’attitude naturelle. Simplement, c’est une métamorphose qui fait qu’on n’est plus dans l’attitude naturelle, alors même que l’attitude naturelle reste la situation de l’attitude esthétique. Maintenant, il faudrait définir un peu plus à quoi correspond l’attitude esthétique : est-ce que c’est une modification de phantasia ? Si l’on suit Richir, on peut dire qu’il s’agit d’une modification de phantasia… Le musicien ne va pas analyser le son comme un objet physique, par exemple. Le son va avoir pour lui un statut transitionnel, il va devenir l’« objet » d’une phantasia « perceptive ». Il va devenir un phénomène de langage qui s’inscrit à l’intérieur d’une phrase musicale qui cherche à dire quelque chose…

EM :  Mais alors, dans quelle attitude je suis lorsque je cherche à jouer mon chant intérieur selon vous ?

SF : Alors le cas du chant intérieur et de la performance musicale sont un peu différents… il y a une parenté… Il s’agit d’une modification de phantasia dans les deux cas… mais j’avoue que je n’ai pas de réponse immédiate à cela.

EM : Je vous prends un peu à dépourvu c’est sûr !

SF : L’idée d’oscillation peut fonctionner aussi dans ces cas-là parce qu’il y a un dégagement, un détachement, et en même temps un retour… mais dans une forme modifiée. Donc c’est très semblable. Après, le problème est de définir ce qu’on entend par « attitude esthétique ». Là, c’est peut-être un peu plus compliqué… Si dans la rue et j’entends un coup de klaxon, je pose son existence et je pose également l’existence de la voiture qui risque de me renverser… Dans l’attitude esthétique, c’est le son en lui-même qui m’intéresse, indépendamment de son existence ou de son inexistence… Donc oui, il y quelque chose de phénoménologique dans tout cela, mais…

EM : Oui mais, si je travaille mon violoncelle, et que j’essaye de réaliser mon chant intérieur par mon violoncelle, ce qui m’intéresse c’est aussi comment j’ai produit le son ! Ce qui m’intéresse, ce n’est pas juste la note, c’est si elle est juste ou fausse, et comment la corriger, comment bouger ma main pour changer la production du son.

SF : Oui c’est ça.

EM : Le son n’est pas assez charnu, ce qui m’intéresse, ce n’est pas que le son, c’est aussi ce qui le produit je dirais.

SF : Oui. Mais ça dépend si l’on se met du côté de l’auditeur ou du point de vue du musicien. Les deux sont dans une attitude esthétique, mais pas exactement de la même manière. Si l’on se met du côté de l’auditeur, peut-être l’attitude la plus simple à conceptualiser, je dirais que le son…

EM : Moi, c’est le musicien qui m’intéresse. Je me mets dans la position de celui qui joue. Ce qui m’intéresse c’est : quand je travaille mon violoncelle, que je suis assise à mon tabouret à jouer, et que je suis en train de faire ce mouvement de va et vient pour améliorer ma performance, jouer de manière la plus ajustée mon chant intérieur, dans quelle attitude je suis ? Ce n’est pas facile de comprendre cela…

SF : Non.

EM : On est à la fois engagé et désengagé. Je pense qu’il y a vraiment cette histoire d’oscillation dont vous parlez. On est situé dans l’attitude naturelle.

SF : Il faut analyser davantage l’attitude esthétique du musicien. Produire un son, cela ne veut pas forcément dire le produire dans une attitude esthétique. On peut produire un son pour l’analyser d’un point de vue physique. On pourrait tenter de comprendre à quelle fréquence correspond telle ou telle note jouée au piano. Est-ce que le la correspond bien à la fréquence prévue ou non ? Mais là, on n’est pas dans une attitude esthétique. Donc qu’est ce qui fait qu’en produisant un son, je suis dans une attitude esthétique et non pas simplement dans l’attitude naturelle ou dans une attitude scientifique ? On pourrait dire que c’est parce que le son n’est plus Wahrgennomen, mais « perçu » en phantasia… même si c’est probablement une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faut qu’il soit « perçu » en phantasia. Ou plutôt, il faut qu’il rentre dans le champ « perceptif » en tant que support transitionnel de quelque chose d’infigurable, que le musicien chercher à dire par son instrument et par son jeu musical. Dans ce cas, l’attitude naturelle n’a pas disparu : on peut y revenir. Il suffit que quelqu’un sonne à la porte pour que l’on soit contraint d’y revenir… cette attitude correspond à ce que Richir appelle l’« institution symbolique ».[26] D’une certaine façon, le musicien est en oscillation, en clignotement entre son rôle social de musicien – parce que c’est aussi un rôle social, avec tout ce que cela comporte, et l’attitude esthétique rendue possible par la phantasia « perceptive » qui ouvre à une Sachlichkeit infigurable…

EM : Oui.

SF : Je pense qu’on peut dire qu’il y a cette oscillation, ce clignotement, qui permet aussi à l’auditeur, au spectateur-auditeur, de se dégager à son tour de son rôle social, de l’institution symbolique dans lesquelles il se trouve, dans lesquels il vit, ne serait-ce que l’espace de l’exécution musicale, pour retrouver une autre dimension. Je dirais qu’aussi bien le musicien que l’auditeur retrouvent leur « vrai soi », au sens de Winnicott.

EM : Oui.

SF : Au sens d’une ipséité qui…

EM : Hum…

SF : … qui relève d’un registre différent que celui des actes objectivants : le registre phénoménologique de la temporalisation et de la spatialisation de langage…

EM : Oui.

SF : Bref, c’est à creuser…

EM : Oui bien sûr !

SF : C’est très intéressant. Je ne pensais pas retrouver dans le champ esthétique une forme d’oscillation semblable à celle qui caractérise le champ phénoménologique.

EM : Il y a tellement de choses intéressantes à repenser ! Merci beaucoup, c’était passionnant…

[1] E. Husserl, Logische Untersuchungen, Zweiter Band, Untersuchungen zur Phänomenologie und Theorie der Erkenntnis, Halle, Niemeyer, 1913, p. 35; tr. fr. de H. Elie, A. L. Kelkel et R. Schérer, Recherches logiques, Tome 2, Recherches pour la phénoménologie et la théorie de la connaissance, Paris, PUF, 1961, p. 40.

[2] M. Richir, Phénoménologie en esquisses, Grenoble, Millon, 2000, pp. 344-345.

[3] Cf. M. Richir, Imagination et phantasia chez Husserl, Eikasia n° 40 (2011), p. 18 : « […] chez Husserl, la distinction n’est pas toujours très rigoureuse (et rigoureusement fixée) entre imagination (Imagination, Einbildung) et phantasia (Phantasie), et […] la distinction, cependant introduite avec vigueur dans le cours de 1904/05, tendra, dans la suite, à s’estomper […] » (https://www.revistadefilosofia.org/40-01.pdf ou bien https://marc-richir.eu/wp-content/uploads/sites/3/2017/03/2011___-Imagination-et-phantasia-chez-Husserl-1.pdf). Pour une analyse détaillée de la distinction entre phantasia et imagination chez Husserl à partir du cours de 1904/5 et au-delà, cf. A. Schnell, Husserl et les fondements de la phénoménologie constructive, Grenoble, Millon, pp. 119-153.

[4] Cf. par exemple https://www.youtube.com/watch?v=xGVdAlxlp18 ou https://www.youtube.com/watch?v=ij-Tq8oUckQ

[5] https://www.davydov.bzh/entretien-avec-francois-moysan-pianiste/

[6] https://www.davydov.bzh/entretien-avec-remi-metral-batteur/

[7] D.W. Winnicott, « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels », in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, pp. 109-125.

[8] A. Schnell, Husserl et les fondements de la phénoménologie constructive, Grenoble, Millon, 2007, p. 172 sqq.

[9] https://www.davydov.bzh/interview-with-stephen-neely-professor-of-dalcroze-eurhythmics/

[10] Ideen 2, §28, p. 110, (German edition).

[11] https://wassardelea.blogspot.com/p/about-wassard-elea.html

[12] Cf. par exemple S. Finetti, Le concept finkien de déprésentation, in Annales de phénoménologie n° 16 (2017), pp. 13-14, 19-20.

[13] https://www.davydov.bzh/entretien-avec-aarp-compositeur-de-musique-electronique/

[14] http://www.cmls.polytechnique.fr/perso/tringali/documents/st_exupery_le_petit_prince.pdf

[15] https://www.davydov.bzh/entretien-avec-yan-pascal-tortelier-chef-dorchestre/

[16] https://www.davydov.bzh/entretien-avec-maxime-tortelier-chef-dorchestre/

[17] Cf. par exemple, De l’infigurable en peinture, in M. Richir, Sur le sublime et le soi. Variations II, Mémoires des Annales de phénoménologie, vol. IX (2011), pp. 133-142.

[18] Cf. par exemple M. Richir, L’écart et le rien, Grenoble, Millon, 2015, p. 219.

[19] https://iteso.academia.edu/PedroLinares

[20] https://www.academia.edu/49124251/Grasping_the_Inner_Song_through_the_Method_of_the_Phenomenological_Epoch%C3%A9_From_the_Subjective_Experience_of_the_Object_to_its_Eidetic_Description_ICNAP_2021_Conference

[21] https://www.davydov.bzh/entretien-avec-thierry-escaich-organiste/

[22] https://www.davydov.bzh/entretien-avec-vincent-segal-violoncelliste/

[23] https://www.amazon.fr/gp/product/2841372987/ref=dbs_a_def_rwt_bibl_vppi_i0?fbclid=IwAR3We-76kOpMhHZOsYkznYjEvVCxMpzgrK3Yvnido3SzBIVmTSrs4WqxQWU

[24] Depraz, Natalie: “The Phenomenological reduction as a praxis” in Journal of Consciousness studies, 6, no. 2-3, 1999, pp. 95-110, p. 96.

[25] Cf. H. Blumenberg, Paradigmes pour une métaphorologie, Paris, Vrin, 2006.

[26] cf. Richir, Marc, Phénoménologie et Institution Symbolique, Paris, Millon, 1988.

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