
© Valentin and Ellen Davydov (2022)
Phénoménologie de la religion
Cette section du site est consacrée à l’histoire et à la phénoménologie des religions. Elle se concentre en particulier sur la question de la nature de la culture religieuse de l’Égypte ancienne dans le problème de l’adéquation entre le système religieux qui existait en Égypte ancienne et la terminologie que les études religieuses ont développé pour pouvoir caractériser cette tradition particulière.
Les définitions classiques de catégories telles que le « polythéisme » et le « monothéisme » proviennent de la tradition religieuse abrahamique. Si nous considérons le judaïsme et ses religions dérivées comme ce que serait le monothéisme par excellence, il devient difficile de déterminer la nature de systèmes religieux plus anciens concevant un dieu unique mais avec des séries symboliques et des traditions iconographiques complètement différentes.
Éviter le réductionnisme dans l’utilisation de catégories d’études religieuses telles que le « polythéisme » et le « monothéisme » et appliquer l’approche phénoménologique à l’étude de la religion de l’Égypte ancienne peut permettre d’éviter ce problème. En effet, on peut alors examiner des aspects inexplorés du problème de la typologisation des systèmes religieux.
La civilisation qui a émergé à la fin du IVe millénaire dans la vallée du Nil a créé un champ culturel extrêmement puissant. A bien des égards, celui-ci a formé toutes les civilisations qui ont émergé plus tard en Europe et au Moyen-Orient. L’héritage égyptien dans le domaine de la technologie, de l’art, de la théologie et de la philosophie a eu une influence puissante sur le développement des civilisations qui ont précédé la civilisation européenne moderne. Si l’on considère les liens culturels entre les civilisations comme un grand arbre généalogique, l’Égypte est en fait comme la graine d’où la civilisation grecque antique a germée.
Les échanges culturels qui ont débuté à l’époque minoenne, en passant par Mycènes et la Grèce classique, ont construit les bases de ce que nous appelons la philosophie antique. Sans l’Égypte, les dialogues de Platon et l‘Éthique à Nicomaque n’auraient jamais été écrits. De nombreux penseurs de la Grèce antique ont en effet visité l’Égypte. Là-bas, ils ont pu communiquer avec des prêtres ayant accumulé plusieurs milliers d’années de réflexion sur ce qui se situe au-delà de l’entendement humain : l’essence du divin et la nature de l’homme. À l’époque hellénistique, les contacts entre Grecs et Égyptiens sont devenus encore plus étroits. Libérée de la domination perse, l’Égypte a été intégrée à l’empire d’Alexandre le Grand et, après son effondrement, elle est devenue la propriété de l’un des diadoques d’Alexandre, Ptolémée, fondateur de la dynastie qui a régné sur l’Égypte pendant plus de trois siècles. C’est ainsi qu’est née une tradition culturelle quasiment syncrétique où des éléments grecs et égyptiens s’entrelacent pour former une matrice unique.

Alexandrie d’Égypte est devenue le centre de la science et de la culture de la période hellénistique. Ptolémée Ier y a fondé le Mouseion, d’où a émergé la célèbre bibliothèque d’Alexandrie. Les hommes les plus importants de leur temps y ont travaillé : Euclide et Archimède, Strabon et Ératosthène, Hipparque et Aristarque de Samos… C’est aussi là où Manéphon a écrit son « Histoire de l’Égypte », et où Sostrate a construit l’une des merveilles du monde, le phare d’Alexandrie. Une telle chose aurait-elle été possible sans cette civilisation hautement développée du delta du Nil au temps des Ptolémées, si l’Égypte n’avait été qu’une lointaine périphérie du monde antique ? Difficilement concevable…
Les traditions millénaires de la monumentale construction égyptienne ont aidé Sostrate à ériger l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’art de l’ingénierie de l’Antiquité. Les connaissances des prêtres égyptiens ont permis à Euclide de jeter les bases de la géométrie de l’espace linéaire. La théologie chrétienne, à partir de la période romaine, a été largement façonnée en Égypte. L’une des premières institutions éducatives chrétiennes, l’école catéchétique d’Alexandrie, s’efforçait de faire la synthèse entre les acquis de la philosophie antique et l’essence de la doctrine chrétienne. Les plus grands penseurs chrétiens – Clément d’Alexandrie, Origène, Didyme l’Aveugle, Athénagoras et Héraclius d’Alexandrie – ont travaillé dans les murs de cette école. L’Égypte a vu la naissance d’une tradition exégétique distincte fondée sur l’interprétation allégorique des textes sacrés, caractéristique de l’ancienne religion égyptienne. L’école théologique d’Alexandrie a grandement contribué au développement des concepts christologiques et trinitaires. La tradition du monachisme chrétien est également étroitement liée à l’Égypte – des ascètes aussi vénérés qu’Athanase le Grand, Macaire le Grand, Paul de Thèbes et Pachomius le Grand se sont rendus dans les déserts arides où les ermites errants des cultes séraphiques avaient vécu avant eux.
Notre civilisation européenne moderne, à laquelle appartient certainement la partie orientale de l’histoire de l’État et de la culture russes, succède à la Grèce et à la Rome antiques qui n’étaient pas dépourvues de contacts avec l’Égypte. Quelle est l’idée principale de ce paradigme culturel, qui s’est formé dans l’Égypte ancienne et qui continue à vivre jusqu’à aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’examiner les différences qui sont apparues dès les premières étapes de la formation des premières civilisations qui possédaient une langue écrite et avaient développé un État.
Les représentations anthropologiques de la civilisation européenne sont les plus proches de celles de l’Égypte ancienne. Cela témoigne de l’existence de liens génétiques étroits entre l’Égypte et les cultures européennes ultérieures. L’Égypte peut être considérée à juste titre comme la première civilisation occidentale. Elle est en effet au fondement du développement culturel ultérieur de nombreux peuples. Une étude attentive de la religion de l’Égypte ancienne nous permet de voir de nombreuses entités culturelles traditionnellement considérées comme des atouts uniques de traditions beaucoup plus tardives. La religion égyptienne est très complexe et comprend un grand nombre de systèmes cosmogoniques qui semblent s’exclure mutuellement, des séries symboliques complexes et des représentations multiples et inhabituelles du divin.
Si l’on cherche à classifier la religion égyptienne ancienne ou à la mettre en corrélation avec les traditions abrahamiques et d’autres formes de religiosité, on a le sentiment qu’elle est fondamentalement différente, qu’elle ne ressemble ni à la tradition monothéiste judéo-chrétienne, ni au type de culture religieuse généralement décrit comme polythéisme. L’idée répandue voulant que l’ancienne religion égyptienne soit polythéiste est en contradiction flagrante avec le contenu des textes religieux indiquant à plusieurs reprises que les Égyptiens étaient bien conscients de la catégorie d’un Dieu créateur unique. Le fait incontestable de l’existence d’une multitude de noms et de personnalités divines est-il un corrélat contradictoire de la vénération d’un dieu unique ? C’est ce à quoi je tente d’apporter une réponse.
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