Das musikalisches Gefühl, le toucher musical, Paris, 12 avril 2013, séminaire Musique et Philosophie en Sorbonne

Erasmus Mundus Europhilosophie

Das musikalisches Gefühl

Le toucher comme point d’incarnation du chant intérieur

Ellen Moysan

Séminaire Musique et Philosophie ; Paris-Sorbonne IV

 

 

 

 

 

Nous ne croyons pas davantage avec le positivisme, dit Binswanger, que saisir un

objet à sa portée (an seinem Griff) puisse être conçu et expliqué comme une

somme de mouvements menée ou dominée par la représentation d’un but! Ce

« saisir » est aussi un art, l’adulte l’oublie trop souvent; il se souvient pourtant

qu’attraper les touches d’un clavier ou les cordes d’un violon est un art, c’est-à-dire

une instrumentalisation de tout l’homme introduite et acquise par le biais d’une

vision, d’une intuition et d’une réflexion globales déterminées.

Glauben wir doch nicht mehr mit dem Positivismus (…) daß das Ergreifen eines

Gegenstandes an seinem Griff als eine von einer Zielvorstellung geleitete oder

beherrschte « Summe von Greifbewegungen » aufgefaßt und erklärt werden kann! Auch

dieses Greifen ist eine Kunst, so sehr der Erwachsene das auch vergißt; jedoch erinnert

er sich, daß das Greifen der Tasten des Klaviers und der Griffe der Violine eine Kunst

ist, d.h eine von einer ganz bestimmten Umsicht, Übersicht und Überlegung eingeleitet

und gelernte « Instrumentalisierung » des ganzen Menschen.

Texte paru dans Martin Heidegger’s Einfluß auf die Wissenschaft, Berne, A. Francke, A.G, 1949.

389 « Im mitwellichen Nehmen-bei-etwas hat das In-der-Welt-sein den existenziellen

Charakter der Verfallenheit und der Geworfenheit »

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Introduction

  1. A l’origine du chant intérieur.
    1. D’où vient le toucher ?
    2. Quel est le fondement constitutif du chant intérieur ?
    3. Comment le chant intérieur guide-t-il le toucher ?
  2. Les paradoxes du Gefühl.
    1. De quoi émerge le toucher ?
    2. Quel paradoxe reflète-t-il ?
    3. Quelle relation au monde met-il en lumière ?
  3. Le mode de transmission du Gefühl-sentiment par le Gefühl-toucher.
    1. Contingence ou nécessité ?
    2. Quelle dynamique ?

Conclusion

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Nous souhaiterions aujourd’hui présenter les dernières orientations de notre travail de recherche commencé il y a maintenant plusieurs années. Pour mieux appréhender le phénomène qui nous préoccupe et que nous avons appelé, faute de mieux, « chant intérieur », nous avons choisi de nous concentrer sur un phénomène secondaire qui a le mérite de mettre en lumière le phénomène principal : il s’agit de ce que nous appellerions en faisant un détour par la langue allemande « das muskalisches Gefühl ».

Pourquoi ce détour linguistique ? Non pas par simple amour de la langue de Goethe mais tout simplement parce que l’histoire même du concept allemand contient un sens que l’on ne saurait retrouver en français. Le concept de « Gefühl » a effectivement deux traductions : « toucher » et « sentiment ». Même si la première, particulièrement prégnante à l’époque romantique notamment chez Johann-Gottfried Herder, est tombée  un peu en désuétude au profit de la deuxième, c’est bien la conjonction des deux sous un même mot qui nous intéressera. A partir de l’expression allemande nous pouvons en effet faire une retraduction vers le français en parlant de « toucher musical » mais en montrant que ce phénomène déploie en fait deux dimensions : celle du sentiment et celle d’une préhension-perceptive.  Avant de nous plonger dans notre étude théorique, présentons ce phénomène du point de vue pratique de l’instrument. Dans plusieurs langues il y a deux mots pour désigner la prise de contact : en français nous avons « attaque » et « toucher », en allemand il y a « Anschlag » et l’expression désuète de « Gefühl », en russe nous avons « уда́р » et « туше́ » etc. Nous avons donc d’un côté ce qui fait référence au choc des deux parties, et de l’autre ce qui désigne plutôt le mode d’approche perceptive propre au musicien. On donc peut en déduire que le son émerge de deux choses complémentaires : d’abord le choc physique de la main sur l’instrument, et ensuite quelque chose de plus qui est le « toucher » proprement dit. Verbe qui requiert un sujet, perception tactile qui appelle d’autres perceptions complémentaires, contact sensible avec l’instrument, c’est lui qui va nous préoccuper aujourd’hui. L’expression « toucher » est d’abord forgée au fil de la pratique des claviers (clavecin, puis piano etc.) pour lesquelles la question est particulièrement épineuse dès le premier contact[1], le terme trouve son plein épanouissement lors de la publication du livre de Couperin : L’art de toucher le clavecin en 1713. Le musicien y donne des conseils pédagogiques sur la posture à adopter, les habitudes d’études à prendre etc. Le deuxième tournant a lieu ensuite autours des années 1900 avec les travaux de Marie Jaëll et notamment son étude minutieuse sur les modes de prise de contact avec l’instrument publiée sous ce titre : L’intelligence et le rythme dans les mouvements artistiques, L’éducation de la pensée et le mouvement volontaire, le toucher musical, le toucher sphérique et le toucher contraire (1905). Dans l’un et l’autre cas la réflexion est circonscrite à la pratique des claviers or, bien qu’il ait été souvent utilisé dans ce cadre, on ne saurait limiter le problème à cela. En effet, il s’agit d’une question que rencontrent tous les musiciens dès lors qu’ils commencent à s’impliquer dans leur apprentissage instrumental. Assurément, l’instrument n’est pas un simple outil qui pourrait être fabriqué et reproduit à l’infini comme n’importe quel ustensile. Il est un objet d’art vivant que l’on apprend à manier, puis à connaître, et enfin à aimer. C’est de ce contact entre l’instrumentiste et son instrument, qui se forge au fur et à mesure du temps, que naît le son. Au premier abord on pourrait penser que ce dernier est le pur produit de la facture de l’instrument (l’âge du bois, sa qualité, les proportions, les cordes, le crin de l’archet etc.). Or, si l’on prête son instrument à un autre musicien, on remarque immédiatement une différence de son qui  est parfois flagrante. Quelle en est la raison ? A la suite de Marie Jaëll nous pourrions invoquer des raisons physiologiques (comment le musicien est-il assis, quelle pression exerce-t-il sur son archet, presse-t-il la corde avec la pulpe ou le bout de son doigt ?). On sait en effet qu’elle est allée jusqu’à prendre l’emprunte des doigts sur le clavier pour comprendre de quoi il s’agissait. Mais nous ne saurions nous arrêter là. S’il ce n’était que cela, et puisque la pratique d’un instrument est basé sur la filiation d’un professeur à son élève, alors, grâce à une reproduction du geste quasi parfaite, nous aurions des générations de sons plus ou moins semblables. Bien évidemment on ne peut nier cet aspect de ressemblance, de type de sons ; par exemple on reconnaît les sons de tradition russe en ce qu’ils sont plus amples, plus profonds, et plus intenses que ceux de la tradition française qui donne quelque chose de plus velouté par exemple. La raison en est peut-être la posture différente que chaque tradition préconise – si nous prenons la tradition slave de la pratique du violoncelle par exemple, la pression sur l’archet vient de tout le bras tandis que dans la tradition française c’est la souplesse du poignet qui est l’élément essentiel, mais cela ne fait pas tout. Un élève aurait beau reprendre exactement et geste pour geste ce que fait son maître, il ne parviendrait pas au même résultat. Où se joue donc la différence ? La tâche que nous nous donnerons ici sera précisément celle de  pointer du doigt le moment même où « l’attaque » devient « toucher », le moment où, dans le contact de la main sur le bois souvent plus que centenaire du violoncelle, viennent se déployer à la fois le sentiment et la perception sensible, le moment où a lieu le basculement de l’interprétation mécanique à l’interprétation vivante.

Pour cela nous chercherons comment la vie s’invite dans l’interprétation, comment elle traverse l’exécution, comment elle s’incarne musicalement par le jeu instrumental. Nous chercherons ainsi à renouveler notre compréhension du « toucher musical » en lui donnant une définition non pas technico-pratique, mais phénoménologique.

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Commençons donc notre analyse en empoignant le phénomène là où il se présente de la manière la plus élémentaire  c’est-à-dire dans la production d’une seule note sur l’instrument.

Si on prend l’exemple du violoncelle, comment le musicien peut-il produire une note sur le manche alors même qu’il n’y a sur ce dernier aucun repère qui lui dise où il faut exercer une pression pour que naisse exactement la note qu’il veut ? Cette capacité à laquelle on ne pense même plus après quelques mois de pratique démontre pourtant que, dans la pratique musicale, le geste le plus élémentaire est déjà quelque chose de technique. Il ne s’agit pas simplement de prendre l’instrument, il faut le prendre de la bonne manière. Les trois capacités requises pour cela sont les suivantes : concevoir, jouer, mémoriser. Ainsi qu’on le constate par l’ordre interne des termes, ce n’est donc pas le toucher qui donne naissance à ce qui est conçu mais l’inverse : il faut d’abord entendre pour jouer, sans cette préparation interne, la note est vide[2]. Comment cela est-il possible ? N’y-a-t-il pas que le toucher qui puisse donner naissances à des représentations, puisqu’il est contact et permet donc une spatialisation-localisation nécessaire au déploiement de la représentation [3]? Que se passe-t-il ? Le chant intérieur se construit-il par le contact avec l’instrument d’où émergent les sons, ou le toucher est rendu possible par le chant intérieur ? Bien entendu on ne saurait établir une précédence chronologique de l’un par rapport à l’autre car il s’agit d’un processus circulaire où l’un se nourrit toujours de l’autre. Il nous faut donc mettre en lumière une précédence qui est d’ordre logique. Nous voudrions montrer qu’en ce sens, le chant intérieur est la condition de possibilité du toucher. Pour cela il est nécessaire de démontrer qu’il peut se constituer indépendamment de ce dont il devient ensuite le fondement. Arrêtons-nous donc un instant. Dans nos derniers travaux nous avions stabilisé la notion de « chant intérieur » au sens large comme étant une corrélation perceptive interne avec un percevant –une oreille intérieure, et un perçu –un chant, le chant intérieur au sens strict. Ce perçu est issu de la lecture de la partition[4]. Il s’agit donc d’un objet visuel. Mais au cours d’une saisie conversionnelle il devient son, de sorte que le musicien qui lit une partition ne visualise pas quelque chose, il l’entend. Or, d’où le son intérieur peut venir si ce n’est d’un son mondain dans lequel serait baigné le sujet et qui lui servirait de matériel ? Si c’est cela alors c’est originellement l’audition qui est au fondement des représentations sonores. Or, Husserl n’a-t-il pas démontré dans Ideen II que seul le toucher, en vertu de sa spatialisation et de sa temporalisation, pouvait être le socle de représentations ? Une première tâche s’impose donc à nous : aussi bien pour mettre en lumière le phénomène du chant intérieur que pour prouver qu’il est à l’origine du toucher, il nous faut d’abord démontrer en quoi l’audition peut être la source de représentations.

Comme nous l’avions vu dans un travail précédent en explorant ses caractéristiques physiques, en ce qui concerne ce sens perceptif il n’y a pas de distance entre le percevant et le perçu mais un contact physique[5]. L’oreille vibre au contact du son. Ainsi, comme dans le cas du toucher il y a une localisation-spatialisation. Ensuite, de manière encore plus évidente qu’avec lui il y a une temporalisation. C’est l’une avec l’autre que ces deux dimensions vont permettre l’élaboration de représentations qui permettront ensuite au sujet de s’orienter dans le monde. Comment se fait donc cette spatio-temporalisation ? En ce qui concerne la spatialité remarquons que le son arrive à la fois par l’oreille droite et l’oreille gauche, – on dit qu’il est le produit d’une synthèse binaurale, double source qui permet l’orientation du sujet et également l’attention sélective. Une sorte de cartographie se déploie alors à partir de l’intensité des sons, et selon ces deux types d’indices : ILD (Interaural Level Difference) et ITD (Interaural Time Difference)[6]. Ceci est le mode par lequel le sujet comprend le monde en se le représentant, et donc par lequel il se situe dans le monde. Ces représentations sonores qui accompagnent nécessairement l’être-au-monde du sujet[7] sont l’essence même de l’Intériorité[8] : le sujet est « sonorement » au monde, et cela depuis toujours puisque cela commence par le battement du cœur lui-même. Si l’Intériorité est nuit, elle n’est pas silence. La temporalisation sonore est ensuite un phénomène plus simple à aborder, la mélodie qui la manifeste est d’ailleurs prise mainte fois en exemple pour analyser phénoménologiquement le temps lui-même. Comment se passe-t-elle ? Il y a un déploiement de deux dimensions : la simultanéité (ce qui requiert une attention sélective pour ne pas en perdre la raison en étant submergé d’informations), et la succession (organisation du son selon les trois stances de l’instant, du passé et du futur, rendue possible par la mémoire). La succession a ensuite dans le chant intérieur une dimension particulière puisque deux types se superposent : la succession temporelle de chaque moment qui se suit selon une temporalité qui peut être aussi bien celle du monde que celle du sujet, et la succession formellement organisée du chant intérieur, sa carrure, qui est objective et donnée lors de la lecture de la partition[9], tout en étant en même temps comprise par le sujet de manière individuelle c’est-à-dire subjective. Ainsi donc, selon ce que nous venons de dire le son est bien le mode d’être-au-monde du sujet, que ce soit selon l’espace ou selon le temps. C’est par lui que le sujet s’oriente dans le monde, et c’est symétriquement selon ce mode que se structure du même coup son monde intérieur. Celui-ci a donc une toile de fond : le bruit de l’intériorité, sur lequel vient se détacher le chant, son organisé qui s’en distingue à la fois par sa morphologie et l’attention spécifique dont il fait l’objet et qui vient comme l’extraire de son milieu[10]. Ces représentations sont ensuite à l’origine du toucher dans le sens où elles en sont la cause.

En effet, même en en restant au stade élémentaire du phénomène c’est-à-dire à la réalisation d’une seule note[11], on peut dire que ces représentations rendent possible la réalisation technique. Analysons le problème de la nature de la relation entre les représentations et la technique instrumentale à l’aide de l’opuscule de Heidegger intitulé La question de la technique. Il rappelle d’abord quelles sont les quatre causes telles qu’elles sont comprises par Aristote : la causa materialis, causa formalis, causa finalis et causa efficiens. Puis il nous montre que l’enjeu des quatre causes se trouve dans la production, en tant que l’objet y trouve, dans l’artiste, la possibilité de son dévoilement. En effet, sans l’artiste l’art ne saurait s’auto-dévoiler. Ainsi, c’est parce qu’elle est mûe par un musicien que la main qui va jouer sur le manche du violoncelle n’a pas un contact purement mécanique mais qu’il s’agit bien d’un « toucher ». Où se trouve la différence entre les deux types de contact ? « Le pro-duire fait passer de l’état caché à l’état non caché, il présente (bring vor). Pro-duire (her-vor-bringen) a lieu seulement pour autant que quelque chose de caché arrive dans le non-caché. », affirme Heidegger[12]. Si l’on comprend cela dans notre propre contexte de réflexion il faut en conclure que dans la production, les représentations sonores qui étaient enfouies dans le sujet se dévoilent à ce moment-là dans le monde pour un plus grand nombre, et même pour le sujet produisant c’est-à-dire le musicien. Celui-ci découvre en effet quelque chose de son propre chant intérieur lorsqu’il l’entend extérieurement. Heidegger continue : « Cette arrivée repose, et trouve son élan, dans ce que nous appelons le dévoilement. Les grecs ont pour ce dernier le nom d’aletheia, que les Romains ont traduit par veritas. Nous autres Allemands disons Wahrheit (vérité) et l’entendons habituellement comme l’exactitude de la représentation »[13]. Cette manifestation de la vérité, ce dévoilement, est la raison d’être de la technique. Ainsi le toucher trouve-t-il pour nous sa raison d’être dans les représentations qu’il transmet, c’est-à-dire dans le chant intérieur lui-même. La manifestation sonore de la note réalisée a donc une dimension éthique : elle est vérité, aletheia, Wahrheit. En ce sens-là, et cette fois peut-être contrairement à ce que disent les musiciens eux-mêmes, la technique n’est pas qu’un moyen au service d’une fin. Il en va de quelque chose de plus ample : elle est un « mode du dévoilement »[14].  C’est seulement en la considérant de cette manière que l’on peut relier le chant intérieur et sa manifestation sonore par un sens non interrompu[15]. A partir de cela on s’aperçoit que, certes on doit reconnaître à la technique instrumentale une place particulière dans la pratique instrumentale dans le sens où elle n’est pas la fin de l’interprétation[16], mais on ne peut pas non plus en parler simplement comme d’un moyen. En cela la technique dans le sens antique est une poiesis, un acte qui débouche sur une création nouvelle. L’interprétation a beau être transmission d’un texte qui n’est pas issu de l’instrumentiste mais a été conçu par un compositeur, c’est-à-dire un sujet tierce, en tant qu’elle trouve son origine dans les représentations sonores du chant intérieur, et cela dès l’origine de sa réalisation, elle est tout de même création.

Ainsi, c’est à l’origine même du geste que la différence se fait entre mécanique et technique instrumentale, entre la préhension simple et le toucher. Pour qu’il y ait « toucher » il faut que le geste ne soit pas seulement un mouvement physique mécanique mais que celui-ci, guidé par une conception qui lui est logiquement antérieur, soit un mode de dévoilement. En d’autres termes, il faut qu’il y ait incarnation du chant intérieur pour qu’il y ait toucher.

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Cette conception nous invite alors à revoir non seulement notre compréhension de l’interprète et de l’instrument, mais également celle du type de perception qui est en jeu dans leur relation.

Lorsque nous avons rencontré le musicien Massimo Paris dimanche dernier[17], celui-ci a employé le terme « affinités électives » pour parler de la relation qui unit l’instrumentiste et son instrument. Il venait ainsi confirmer quelque chose que nous avions déjà plusieurs fois entendu dans nos rencontre, et que nous avons expérimenté également en tant que violoncelliste : l’instrument n’est pas un objet, il est presque comme un être humain, il est quelque chose de vivant. Est-ce parce qu’il est fait d’une matière vivante ? Pas seulement. La table ou la chaise aussi sont faites de bois. Est-ce parce que cette vie matérielle réagit, résonne, ou même réponds à l’instrumentiste ? Certainement plus convaincant. Au fur et à mesure du travail il y a une véritable relation affective qui se tisse entre les deux éléments. Celle-ci peut être de l’ordre du rejet[18] ou de l’affection –n’a-t-on pas tous fait l’expérience d’être attiré un jour par notre instrument posé dans un coin de la pièce, et le lendemain d’être presque dégoûté par lui, ou d’avoir une relation changeante selon nos « l’état d’âme » comme disait notre praticien de la viola d’amore[19] ? Fixe ou changeante, cette relation reste dans tous les cas au fondement même du son. Elle est fondamentale. Elle atteste en effet que le son ne nait pas seulement de l’instrument ou de l’artiste[20], mais bien de la relation entre les deux, de leur  Beziehung c’est-à-dire de la manière dont ils se rapportent l’un à l’autre. Ainsi, comme pour toute relation, celle-ci tire sa nature non seulement de la qualité de chacun des deux éléments l’un indépendamment de l’autre, mais également de leur mode de mise en relation. Cela implique deux choses : en premier lieu que, s’il y a une évidente indépendance de l’artiste par rapport à l’instrument, il y a aussi une indépendance de l’instrument vis-à-vis de l’artiste c’est-à-dire qu’il a sa propre vie, en second lieu qu’il y a deux sons c’est-à-dire, selon l’expression de Massimo Paris, un son « requis par l’instrument »[21], et un son propre à l’instrumentiste, qui viennent ensuite à n’en faire plus qu’un ayant une double signification. En d’autres termes, d’un côté lorsque le musicien s’empare d’un instrument il le réveille[22], le « fait parler », et d’un autre côté le sujet a un son qui lui est propre : celui de son chant intérieur qui se manifeste par l’instrument. Ce qu’entend le spectateur est ensuite le produit de cette relation sonore.

Etudions à présent séparément chacun des deux éléments. Le son de l’instrument est issu de sa facture, de la qualité du bois, de son ancienneté, de son histoire. Mais le son de l’instrumentiste, de quoi est-il fait ? Ainsi que le disait Marguerite France dans notre entretien : « Il est uniquement affectif […] il vient du fond de la personne » [23]. C’est en ce sens que le Gefühl, toucher, est un Gefühl, sentiment. C’est en tant que tel que, comme le montre Paul Ricoeur, il pose la question suivante : « Comment le même vécu peut-il désigner un aspect de la chose et, par cet aspect de la chose, exprimer l’intimité d’un moi ? »[24]. C’est exactement ce paradoxe qui parcourt le phénomène du chant intérieur et est dévoilée dans le toucher : comment une même chose peut à la fois désigner quelque chose (la partition) et exprimer un moi (le musicien) ? Cette question est particulièrement prégnante car c’est cela que l’on exprime lorsqu’on dit en entendant un morceau à la radio : « C’est Rostropovitch ». On sous-entend en fait : c’est Rostropovitch jouant Bach. A la fois l’un et l’autre. Ce paradoxe du sentiment est présent dès les premiers moments de l’interprétation puisque le sujet a une lecture de la partition caractérisée par une affectivité-intentionnelle, par une intentionnalité-affective. C’est selon ce mode que le texte se révèle au sujet. C’est ainsi qu’il fait sens. C’est donc de cette manière, symétriquement, qu’il vient par la suite naturellement s’exprimer. Voici avec quels termes Paul Ricoeur parle de cette relation au monde : « Nous pouvons maintenant comprendre la fonction du sentiment, cette fonction qui fait l’unité de toutes les manifestations vitales, psychiques, spirituelles. […] Alors que la représentation nous oppose des objets, le sentiment atteste notre affinité, notre coaptation, notre harmonie élective avec des réalités dont nous portons l’effigie affective. Les scolastiques avaient un mot excellent pour exprimer cette convenance mutuelle du vivant au biens qui lui sont congénères ; ils parlaient d’union co-naturelle »[25]. Compris dans notre contexte de réflexion cela signifie qu’il y a une union co-naturelle du musicien et de ce qu’il lit/joue dans le chant intérieur, et que c’est cela même qui se manifeste ensuite dans le Gefühl.

Cela, mais au sens plus large le sentiment tel que nous en parle Ricoeur, marque le lien indivis du sujet avec le monde et le rôle qu’a ce dernier dans la constitution du chant intérieur. Voici ce que nous a dit le saxophoniste Luigi Grasso : « ce son intérieur est toujours déterminé par l’extérieur. […] Il se développe avec l’expérience : on se forme notamment en écoutant, en comprenant quelles sont nos préférences. En fait le son est en nous », et ensuite : « Le jazz reflète le son de la ville »[26]. Ce que le musicien exprime ici prend pour nous un sens particulier, cela veut dire dans notre contexte de réflexion que le son est l’incarnation même de la relation du sujet au monde qui est une « unité d’une intention et d’une affection, d’une intention vers le monde et d’une affection du moi ». On comprend alors mieux pourquoi il est essentiel de se créer une culture pour développer son chant intérieur[27], pourquoi il est essentiel de sortir de sa salle d’étude pour aller voir le monde : le chant intérieur reflète et même incarne la vie du sujet dans son Umwelt ; sa manière propre d’intérioriser la réalité est absolument déterminante pour la constitution de son chant intérieur. Cependant, pour qu’il puisse y avoir unification de cette vie dans le monde par le chant intérieur il faut que cela soit comme stocké dans un substrat unique. C’est pour nous le vécu intentionnel. C’est dans le flux du vécu que viennent s’imprimer toutes les impressions issues de la vie du sujet dans le monde. C’est également lui qui porte la coloration affective propre au sujet. Ensuite, le fait qu’il s’agisse d’un flux temporel où il y a un avant et un après explique comment ce substrat unique ayant son identité propre peut tout de même demeurer changeant, soumis aux évolutions. Rien ne vient se fixer de manière rigide dans le sujet puisque la conscience est temporelle. La mémoire conserve bien quelque chose – et si nous nous rapportons au début de cet exposé nous nous rappelons que la technique avait justement une dimension de mémorisation sans quoi il ne pourrait y avoir interprétation, mais cela reste souple. C’est ce qui fait dire à Massimo Paris que la « ductilité » du sujet est essentielle au développement de l’interprétation. Il appartient en propre au sujet de ne pas imposer un carcan rigide à ce qui, par essence, ne l’est pas. Le toucher doit manifester la vérité du chant intérieur qui est à la fois même et autre. Dans un deuxième temps, lorsqu’il vient s’incarner, c’est parce qu’il témoigne de la vie du sujet dans on Umwelt qui le chant intérieur perceptible par le toucher rendra possible le Mitwelt. La communauté des spectateurs se formera autours de l’expression de ce chant intérieur qui s’incarne dans le toucher. Mais cette question nous emmènerait trop loin de ce qui nous préoccupe aujourd’hui. Nous ne la développerons donc pas ici.

Contentons-nous pour l’heure de constater que, définir le toucher comme sentiment en utilisant ce sens que peut avoir l’expression Gefühl nous dit certes quelque chose du paradoxe constitutif du chant intérieur qui s’incarnera ensuite dans le toucher, mais ne nous dit encore rien du processus de cette incarnation.

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Il faut donc aller plus loin et étudier ce moment de la transmission afin de fermer la boucle de notre réflexion sur la notion de musikalisches Gefühl.

Cette transmission n’a pas lieu par un simple effet de la volonté –bien qu’il faille naturellement que cette faculté coopère, mais plutôt parce que le sujet est poussé par une nécessité qui s’impose à lui. Ce qui lui est demandé est simplement de lui accorder le passage, de l’autoriser à s’exprimer sans opposer de résistance dans le sens d’un Durfen allemand. Traduit dans le langage instrumental cela signifie qu’une interprétation vivante requiert une totale disponibilité aussi bien physique que mentale ou psychologique. Les blocages à l’instrument qui sont si courant sont en effet les principaux obstacles à la bonne transmission du message[28]. Mais si ces conditions de liberté d’expression sont assurées, alors le chant intérieur qui demande impérativement à s’exprimer peut se manifester. De quel ordre est cette nécessité ? Bien que notre conception de l’Intériorité soit différente de celle de Michel Henry, bien que notre concept d’affectivité aille dans une autre direction que ce même concept tel qu’on le trouve chez lui où l’auto-affection qui ne saurait en aucun cas être intentionnelle, rien ne nous empêche de penser tout de même l’ensemble comme traversé par la vie elle-même, mis en mouvement par elle, et donc poussé par la même nécessité vitale. Voici en quels termes Michel Henry s’exprime : « La nécessité intérieure est en premier lieu celle de la forme en tant qu’elle est déterminée par la vie invisible –par l’Intérieur – et par le seule, en aucune façon par le monde. Ainsi l’élément extérieur, « matériel », trouve-t-il sa loi de construction dans une réalité purement spirituelle, sise dans l’intérieur de notre être, identique à lui, et qui agit comme un principe unique de création esthétique. « Du spirituel dans l’art… ». Que cette détermination par l’Intérieur soit radicale, qu’elle s’accomplisse selon une nécessité absolue et que cette Nécessité Intérieure signifie pour la forme qui lui est soumise la liberté, qu’elle définisse la liberté dans l’art en général en tant qu’ « art pur », voilà qui nous explique au moins une chose : l’impression de nécessité précisément qui se dégage de toute œuvre authentique, la contingence au contraire, à la limite de la gratuité qui caractérise une peinture médiocre. […] La Nécessité Intérieure en tant qu’identique à la liberté de l’art fournit alors pour juger, les productions de ce dernier un critère aussi rigoureux qu’implacable »[29]. Dès les premiers mots on se rend compte que nous ne pouvons pas prendre en compte l’entièreté de l’idée que contient cette citation. En effet, pour nous c’est bien l’intérieur qui détermine la nécessité, mais seulement en tant qu’il est Gefühl, à la fois sentiment et intentionnalité, c’est-à-dire en tant qu’il est une intériorisation préalable et constante du monde. C’est donc non seulement l’affectivité comme vie invisible qui requiert une manifestation, mais également l’intériorisation de l’Umwelt. On pourrait d’ailleurs aller plus loin en affirmant que tout intériorisation requiert une extériorisation, eusse-t-elle lieu selon une nouvelle forme. En revanche, cet Intérieur dont nous faisons mention relève aussi non pas de l’avoir, mais bien de l’être du sujet. C’est lui, et seulement lui, qui est à l’origine de la création artistique. Par conséquent, ce qui fait qu’une interprétation est artistique et non pas mécanique, c’est qu’elle est vivante c’est-à-dire qu’elle a pour causa efficiens la vie elle-même qui traverse le sujet. Enfin, la dernière thèse avancée par Michel Henry est de dire que c’est la présence de cette vie qui constitue l’unique critère de jugement de l’œuvre d’art mais là encore, nous n’aborderons pas cette question qui nous ferait sortir des sentiers de notre réflexion.

Analysons plutôt en dernier lieu comment se fait l’incarnation dans le toucher. Pour le comprendre il nous faut recourir aux trois concepts aristotéliciens de dynamis, energeia, et entelechie. Bien sûr, on ne peut pas dire que le chant intérieur soit en puissance, sa manifestation en acte, et le toucher en soit le principe qui mène de l’un à l’autre. Cela supposerait un moment final de pleine réalisation du chant intérieur qui ne saurait être. Ainsi que nous le rappelle Massimo Paris dans son entretien[30], il n’y a pas de fin du travail. On peut toujours mûrir une interprétation, mûrir une œuvre, et cela pour deux raisons : d’abord parce que celle-ci vient du sujet qui est lui-même en perpétuel changement, et ensuite parce que l’interprétation porte toujours la marque de l’Umwelt qui n’est lui, jamais le même. Quand bien même on aurait à rejouer deux fois de suite, même une infinité de fois, la même chose lors d’un concert, d’un soir à l’autre ce ne serait pas la même chose. En termes husserliens on pourrait dire qu’en ce qui concerne le chant intérieur il n’y a pas comme le remplissement d’une visée qui pourrait être à un moment totalement recouverte. La recherche n’est jamais terminée car on peut toujours comprendre différemment ce qu’on lit, on comprend toujours différemment parce que le temps passe et qu’avec lui il y a un renouvellement de la situation de compréhension. Le recouvrement est donc toujours repoussé à l’infini. Comme l’analyse de ces trois concepts demanderait un développement que nous ne sommes pas en mesure de faire ici faute de temps, nous nous contenterons d’énoncer des hypothèses. L’incarnation est donc un processus, et selon ce que nous avons démontré plus haut, notre phénomène est par lui-même temporalisé. Cela signifie qu’il y a un avant et un après dans la manifestation du chant intérieur ; celui-ci ne se révèle pas d’un seul tenant mais au fur et à mesure du travail du musicien. C’est cette mise à jour que recoupent les trois concepts aristotéliciens : dans le travail de l’interprète il y a un moment qui correspond à dynamis, et un moment qui correspond à l’entelechie. Le premier est le tout début du travail, éventuellement même avant le déchiffrage, l’energeia constitue ensuite toute la période de développement qui peut s’étendre sur une très longue durée, et l’entelechie est le moment de la représentation. Cette dernière assimilation est contestable bien entendu. Une représentation n’est jamais la fin. Et pourtant, on peut tout de même dire qu’au regard du contexte c’est-à-dire du rôle requis par la situation du concert, elle peut être comprise comme entelechie. Ainsi, c’est au fur et à mesure de ce processus de développement que se définit le toucher qui vient sculpter chaque note, chaque enchaînement de manière plus subtile, plus raffinée au fur et à mesure du travail. C’est comme une sorte d’épuration/constitution : on chercher à retirer les éléments qui obstruent la clarté de la manifestation, ce qui permet de dégager du même coup la pureté du chant[31].

Ainsi peut-on comprendre le passage du Gefühl-sentiment au Gefühl-toucher  comme l’incarnation de la vie par la transmission d’une énergie. Les deux aspects se manifestent alors comme deux dimensions qui prennent sens l’une par l’autre : le sentiment venant à jour dans le toucher et le toucher n’étant véritablement toucher que parce qu’il vient incarner un sentiment.

***

Au terme de notre analyse sur le toucher comme Gefühl on peut retirer trois éléments importants pour la compréhension de notre phénomène du chant intérieur. D’abord il nous apparaît comme essentiellement lié au monde : la représentation sonore se forme par l’audition qui permet l’intériorisation du son, la vibration au rythme du monde, le chant intérieur est l’impression sonore de la vie du sujet dans l’Umwelt, la représentation finale c’est-à-dire son incarnation se modifie en fonction du contexte de représentation qui est toujours spatio-temporellement différent. Ensuite il fait apparaître l’unité principielle de la personne autours de son vécu intentionnel qui est également un vécu de perception : le vécu est le substrat unique dans lequel viennent se fixer les impressions sensibles qui s’incarnent ensuite par le toucher, on peut saisir l’unité des sens qui se trouve comme ramassée dans le toucher (vision-audition, audition-toucher, toucher-audition), le vécu est l’unité qui perdure dans le changement contextuel et qui permet la reconnaissance de l’artiste dans son toucher. Enfin notre étude nous permet de réaffirmer l’importance cruciale du chant intérieur comme transmission de la vie elle-même, vie qui traverse le sujet, est totalement sienne sans pour autant prendre sa source en lui, vie qui est énergie vitale, processus de manifestation de la vérité elle-même.

 

Bibliographie :

–          DERRIDA, Jacques, La voix et le phénomène, Paris, PUF, 2010 (quatrième édition), Coll. Quadrige.

–          GADAMER, Hans-Georg, Vérité et méthode, Trad. P. Fruchon, G. Merlio et J. Grondin, Paris, Seuil, 1996, deuxième édition.

–          HENRY. Michel, Voir l’Invisible, Sur Kandinsky, Paris, PUF, 1988, (Quadrige).

–          HEIDEGGER, Martin, De l’origine de l’œuvre d’art, Edition bilingue numérique hors commerce, 1931.

–          HEIDEGGER, Martin, La question de la technique, Gallimard, 1953.

–          HEIDEGGER, Martin, Être et temps, E. Martineau, Edition hors commerce, 1985.

–          HUSSERL, Edmund, Recherches phénoménologiques pour la constitution, Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures, Livre second, Tr. E. Escoubas, Paris, PUF, 1982, 1996, deuxième édition, (Epiméthée).

–          RICOEUR, Paul, Al’école de la phénoménologie.

–          VEYSSE, Philippe, Langage, corps chez Ludwig Binswanger, Edition numérique,Thèse de doctorat, nov.2008.


[1] Dans la mesure où il s’agit d’instruments mécaniques à cordes frappées et non de vents ou de cordes frottés par exemple, le pianiste n’a pas une prise directe sur le son. Il y a donc un espace problématique de la main à la corde d’où émerge le son qu’il faut apprendre à gérer et qui requiert de manière plus évidente une réflexion.

[2] Chaque musicien a déjà fait l’expérience en cours d’une non préparation, et d’un professeur qui lui disait : « tu n’as pas pensé ta note ». Cela signifie bien que cette préparation intérieure s’entend immédiatement dans le son.

[3] HUSSERL, Edmund, Recherches phénoménologiques pour la constitution, Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures, Livre second, Tr. E. Escoubas, Paris, PUF, 1982, 1996, deuxième édition, (Epiméthée).

[4] En ce sens la corrélation interne ne saurait exister sans une corrélation première, celle qui est classiquement prise en considération dans la phénoménologie, qui unit la conscience et l’objet.

[5] Pour plus de détails se rapporter à l’œuvre consacré à l’approche musicale de la surdité : CARRE, Alain, Musique et surdité, le paradoxe du musicien sourd, Paris, Fuzeau, 2008

[6] Se rapporter à Etude des représentations spatiales en environnement sonore, Ircam.

[7] On sait en effet d’après l’ouvrage d’Alain Carré que la surdité totale n’existe pas et que même lorsqu’elle est profonde, elle n’est qu’une atténuation majeure de l’audition : le sujet « entends » toujours parce qu’il vibre toujours au rythme du monde.

[8] Ainsi que nous l’avons montré dans notre précédent travail, l’Intériorité est une toile de fond sonore plus ou moins organisée, systématisée.

[9] Puisque nous rappelons que nous étudions le cas de l’interprétation à partir d’un texte écrit.

[10] Nous avions déjà étudié ce phénomène précédemment.

[11] Claire Bernard rappelle dans notre entretien qu’à partir de deux notes on a déjà une courbe c’est-à-dire un chant. Nous arrêter à la production d’une seule note permet donc d’étudier le phénomène à un stade encore plus primitif.

[12] HEIDEGGER, Martin, La question de la technique, Gallimard, 1953, p.3.

[13] Idem.

[14] Idem p.4.

[15] Il n’y a pas un chant intérieur qui a du sens pour le sujet, puis qui a un sens dans le monde, il y a un flux ininterrompu, une transmission de sens qui ne se perd pas, quand bien même le sens se modifierait au fur et à mesure de sa transmission.

[16] En tout cas, elle ne devrait pas l’être : la virtuosité ne devrait pas être le but visé.

[17] L’entretien a été confié à sa correction et sera bientôt en ligne.

[18] Rappelons-nous les propos d’Anne-Marie Morin qui disait avoir réappris à aimer son instrument, en le touchant, en caressant l’archet, en sentant le bois sous ses doigts.

[19] Même entretien prochainement disponible.

[20] Massimo Paris nous racontait l’histoire amusante suivante : à la fin d’un concert de Heifez une dame est venue le féliciter, enthousiaste : « quelle instrument magnifique vous avez Maître », lui dit-elle. Le violoniste a porté l’instrument au creux de son oreille, l’a regardée et lui a dit : « ah bon ? Mais je n’entends rien » !

[21] Entretien prochainement en ligne.

[22] Le même Massimo Paris nous parlait d’avoir joué sur l’alto du quatuor, le seul, conçu par Stradivarius, qui est actuellement à Madrid. L’instrument était magnifique nous disait-il, mais comme une Belle aux bois Dormant. C’est au fur et à mesure qu’il la jouait que le son se défigeait, qu’il s’amplifiant, et prenait la mesure de lui-même.

[24] Ricoeur, A l’école de la phénoménologie, Paris, Vrin, p.317.

[25] RICOEUR, Paul, Al’école de la phénoménologie, Paris, Vrin, p.319.

[27] Notamment Claire Bernard et Massimo Paris ont largement insisté sur ce point.

[28] Il serait intéressant de creuser ici le lien entre le blocage, notamment corporel, et le rétablissement qui se fait par la restauration de la relation affective à l’instrument qui ressort de l’entretien avec Anne-Marie Morin in https://www.davydov.bzh/entrevue-avec-anne-marie-morin-03-03-12-paris/mais cela mériterait un long développement que nous ne pouvons pas faire ici.

[29] HENRY. Michel, Voir l’Invisible, Sur Kandinsky, Paris, PUF, 1988, (Quadrige), p.47-48.

[30] A paraître.

[31] Un exemple de ce travail d’épuration pourrait être la justesse, si prégnante dans le travail de beaucoup d’instruments, et notamment les cordes.