Cours de philosophie en ligne du CETAD
PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE
Valentin et Ellen Davydov

(Les grandes chroniques de France, 1332-1350)
Semaine 2
Ô Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée par la bouche des enfants, des tout-petits : rempart que tu opposes à l’adversaire, où l’ennemi se brise en sa révolte. A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur, tu l’établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds : les troupeaux de bœufs et de brebis, et même les bêtes sauvages, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui va son chemin dans les eaux. Psaume 8 |
La philosophie du haut Moyen-Âge : sommeil et réveil de la philosophie (Ve – Xe).
Textes de la semaine
Question générale de la semaine Les penseurs du haut Moyen Âge : philosophes ou théologiens ? |
En occident
Texte 1 – Augustin, Confessions, IX, 7-8(397-401)

Les Confessions sont le titre des 13 écrits autobiographiques d’Augustin d’Hippone, rédigés en latin vers 397-398 après J.-C., racontant sa vie et sa conversion au christianisme. Elles contiennent des informations précieuses sur son cheminement spirituel et sur l’évolution de ses conceptions philosophiques et religieuses.
Je réponds à cette demande : Que faisait Dieu avant de créer le ciel et la terre ? Je réponds, non comme celui qui éluda, dit-on, les assauts d’une telle question par cette plaisanterie : Dieu préparait des supplices aux sondeurs de mystères. Rire n’est pas répondre. Et je ne réponds pas ainsi. Et j’aimerais mieux confesser mon ignorance, que d’appeler la raillerie sur une demande profonde, et l’éloge sur une réponse ridicule.
Mais je dis, ô mon Dieu, que vous êtes le Père de toute créature, et s’il faut entendre toute créature par ces noms du ciel et de la terre, je le déclare hautement : avant de créer le ciel et la terre, Dieu ne faisait rien. Car ce qu’il eût pu faire alors, ne saurait être que créature. Oh ! que n’ai-je la connaissance de tout ce qu’il m’importe de connaître, comme je sais que la créature n’était pas avant la création !
Un esprit léger s’élance déjà peut-être dans un passé de siècles imaginaires, et s’étonne que le Tout-Puissant, créateur et conservateur du monde, l’architecte du ciel et de la terre, ait laissé couler un océan d’âges infinis sans entreprendre ce grand ouvrage. Qu’il sorte de son sommeil, et considère l’inanité de son étonnement ! Car d’où serait venu ce cours de siècles sans nombre dont vous n’eussiez pas été l’auteur, vous, l’auteur et le fondateur des siècles ? Quel temps eût pu être, sans votre institution ? Et comment se fût-il écoulé, ce temps qui n’eût pu être ?
Puisque vous êtes l’artisan de tous les temps, si l’on suppose quelque temps avant que vous eussiez créé le ciel et la terre, pourquoi donc prétendre que vous demeuriez dans l’inaction ? Car ce temps même était votre ouvrage, et nul temps n’a pu courir avant que vous eussiez fait le temps. Que si, avant le ciel et la terre, il n’était point de temps, pourquoi demander ce que vous faisiez alors ? Car, où le temps n’était pas, alors ne pouvait être.
Et ce n’est point par le temps que vous précédez les temps, autrement vous ne seriez pas avant tous les temps. Mais vous précédez les temps passés par l’éminence de votre éternité toujours présente ; vous dominez les temps à venir, parce qu’ils sont à venir, et qu’aussitôt venus, ils seront passés. Et vous, « vous êtes toujours le même, et vos années ne s’évanouissent point » (Ps. CI, 28). Vos années ne vont ni ne viennent, et les nôtres vont et viennent afin d’arriver toutes. Vos années demeurent toutes à la fois, parce qu’elles demeurent. Elles ne se chassent pas pour se succéder, parce qu’elles ne passent pas. Et les nôtres ne seront toutes, que lorsque toutes auront cessé d’être. Vos années ne sont qu’un jour ; et ce jour est sans semaine, il est aujourd’hui ; et votre aujourd’hui ne cède pas au lendemain, il ne succède pas à la veille. Votre aujourd’hui, c’est l’éternité. Ainsi vous avez engendré, coéternel à vous-même, Celui (1) à qui vous avez dit : « Je t’ai engendré aujourd’hui » (Ps. II,7; Héb. V, 7). Vous avez fait tous les temps, et vous êtes avant tous les temps, et il ne fut pas de temps où le temps n’était pas.
Questions de la semaine 1) Pourquoi Augustin se demande ce que faisait Dieu avant la création du monde ? 2) Comment Dieu a-t-il fait surgir le temps à partir de l’éternité ? |
Texte 2 – Jean Scot Érigène, De la division de la nature, IV (867).

Œuvre philosophique et théologique de Jean Scot Érigène, le Périphyseon constitue une immense « épopée métaphysique » (Étienne Gilson). À travers l’analyse de problèmes tels que celui de Dieu et de la création, du concept de nature et de sa relation à Dieu, de la personne humaine, de la connaissance dans l’articulation entre la langage et réalité, et du concept d’univers, l’auteur cherche à identifier les points d’articulation entre la philosophie et la théologie.
Disciple : Pourquoi as-tu donc déclaré que deux affirmations contradictoires prédiquées d’un même sujet ne peuvent être toutes deux simultanément fausses ou toutes deux simultanément vraies sous le même rapport, mais que si l’une est vraie, alors l’autre sera nécessairement fausse, comme par exemple, si on affirmait d’un animal quelconque : « Cet animal est un cheval, cet animal n’est pas un cheval », puisque tu semblerais alors affirmer que deux affirmations contradictoires peuvent être prédiquées toutes deux simultanément comme vraies dans le cas de l’homme, en disant de lui : « L’homme est un animal » et « l’homme n’est pas un animal », et puisque tu enseignes que l’homme possède naturellement cette caractéristique, du moins jusqu’à ce que toute sa nature animale devienne transformée en nature spirituelle ? Mais pourquoi est-ce le cas seulement pour l’homme, et n’est-ce pas aussi le cas pour les autres animaux, dont il est à la fois absolument vrai que ce sont des animaux et absolument faux que ce ne sont pas des animaux ?
Maître : Crois-tu qu’un autre animal que l’homme ait été créé à l’image de Dieu ?
Disciple : Je ne le crois nullement.
Maître : Nieras-tu donc que deux affirmations contradictoires puissent être prédiquées de Dieu comme étant toutes deux simultanément vraies, et comme n’étant en aucun cas fausses, bien que ces deux affirmations n’aient pas une valeur égale, par exemple, quand on déclare tour à tour : « Dieu est Vérité » et « Dieu n’est pas Vérité » ?
Disciple : Je n’oserais certes pas le nier, puisque Dieu affirme en parlant de Lui-même : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie » (Jean 14:6), alors que saint Denys l’Aréopagite déclare pourtant dans sa Théologie symbolique que Dieu n’est ni Vérité ni Vie. Car Denys affirme : « Dieu n’est ni Puissance, ni Lumière, ni Vie » (Ch. 5, [476]), et un peu plus loin : « Dieu n’est ni Connaissance ni Vérité. ».
Maître : Peut-être Denys contredit-il le Christ, qui déclare en parlant de Lui-même, qu’il est la Vérité personnifiée.
Disciple : Loin de moi une telle idée !
Maître : Les deux propositions sont donc vraies, à savoir, Dieu est Vérité, Dieu n’est pas Vérité.
Disciple : Non seulement ces deux propositions sont vraies, mais encore elles sont absolument vraies. La première proposition est énoncée conformément à l’affirmation sous le mode de la métaphore, puisque Dieu est le fondateur et la cause originaire de la Vérité, par participation à laquelle tous les objets vrais sont vrais ; la seconde proposition est énoncée conformément à la négation sous le mode de l’éminence, car Dieu est Plus-que-Vérité. Par conséquent, il est juste de dire que Dieu est Vérité, puisqu’il est cause de tous les objets vrais, et il est également juste de dire que Dieu n’est pas Vérité, car Dieu surpasse toute parole et toute pensée. Je n’ai pas non plus oublié que tu as ajouté : « Bien que ces deux affirmations n’aient pas une valeur égale. » Car l’affirmation a une valeur moindre que la négation pour signifier l’Essence ineffable de Dieu, car la première implique une transposition des créatures au Créateur, alors que la seconde permet de connaître le Créateur tel qu’il subsiste en Lui-même, au-delà de toutes les créatures.
Maître : Tu as fort bien compris les paroles que j’ai ajoutées. Quoi donc d’étonnant à ce qu’on puisse prédiquer en toute vérité simultanément de l’homme, qui seul parmi tous les animaux a été créé à l’image de Dieu, les deux propositions contradictoires à savoir « l’homme est un animal » et « l’homme n’est pas un animal », afin que nous comprenions que seul a été créé à l’image de Dieu cet animal, dont deux propositions, qui s’avèrent mutuellement contradictoires dans le cas de tous les autres animaux, peuvent être prédiquées de lui comme étant toutes deux simultanément vraies ? Mais si les affirmations et les négations appliquées à l’Essence divine coïncident, parce que Dieu transcende tous les existants qu’il a créés et dont il est la Cause, comment ne pourrait-on pas en inférer que les affirmations et les négations coïncident aussi harmonieusement dans l’image et la ressemblance de Dieu, qui subsiste en l’homme, puisque l’homme transcende tous les autres animaux, parmi lesquels il a été créé comme subsumé avec eux sous un genre unique, et qui est la cause pour laquelle ils ont été créés ? […]
Questions de la semaine 1) « A » et « non A » ne peuvent pas être vrais simultanément, pourquoi ? 2) Pourquoi les propositions affirmant que « Dieu est vérité » et « Dieu n’est pas la vérité » peuvent malgré tout être vraies en même temps ? |
En orient
Texte 1 – Jean Chrysostome, Homélie sur la place de l’Église dans le projet de Dieu (354-402)

La tradition a conservé près de 900 homélies de Jean Chrysostome dit « Saint Jean Bouche d’Or ». Elles témoignent toutes d’un style clair, élégant, et d’une grande profondeur. Elles citent abondamment les Évangiles et usent de question rhétoriques et de comparaisons pour rendre le sens accessible au tout un chacun. Le texte suivant est écrit en 403, au moment où Chrysostome est en exil suite au Concile du Chêne, accusé par le patriarche Théophile d’Alexandrie d’origénisme.
Les vagues sont violentes, la houle est terrible, mais nous ne craignons pas d’être engloutis par la mer, car nous sommes debout sur le roc.
Que la mer soit furieuse, elle ne peut briser ce roc ; que les flots se soulèvent, ils sont incapables d’engloutir la barque de Jésus. Que craindrions-nous ? Dites-le-moi. La mort ? Pour moi, vivre, c’est le Christ, et mourir un avantage (Phi 1, 21). L’exil ? La terre appartient au Seigneur, avec tout ce qu’elle contient (Ps 23, 1). La confiscation des biens ? De même que nous n’avons rien apporté dans ce monde, de même nous ne pourrons rien emporter (1 Tim 6, 7). Les menaces du monde, je les méprise ; ses faveurs, je m’en moque. Je ne crains pas la pauvreté, je ne désire pas la richesse ; je ne crains pas la mort, je ne désire pas vivre, sinon pour vous faire progresser. C’est à cause de cela que je vous avertis de ce qui se passe, et j’exhorte votre charité à la confiance.
De fait, personne ne pourra nous séparer car ce que Dieu a uni, l’homme ne peut le séparer. En effet, il est dit de l’homme et de la femme : Aussi l’homme quittera-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils seront deux pour une seule chair. Or, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. (Gn 2, 24 ; Mt 19, 5-6). S’il n’est pas possible de rompre le lien conjugal, il vous est plus impossible encore de séparer l’Église de Dieu. Vous la combattez mais sans pouvoir nuire à celui que vous combattez. Quant à moi, vous ne faites qu’ajouter à ma gloire, vous dissipez vos forces dans le combat contre moi. Il est dur en effet de se rebeller contre l’aiguillon (Ac 9, 5). Vous n’en émousserez pas la pointe mais vous ensanglanterez vos pieds. C’est ainsi que les flots ne dissolvent pas le rocher, mais se dissolvent en écume contre lui.
Homme ! Rien n’est fort comme l’Église. Cesse le combat, afin de ne pas perdre ta force. N’entre pas en guerre contre le ciel. Combats-tu un homme, tu peux être vainqueur ou vaincu, mais si tu combats l’Église tu ne peux vaincre car Dieu est plus fort que toutes choses. Voudrions-nous rivaliser avec le Seigneur ? Serions-nous plus forts que lui ? (1 Co 10, 22). Ce que Dieu a établi, qui tentera de l’ébranler ? Ne connaissez-vous pas sa puissance ! Il regarde la terre et il la fait trembler (Ps 103, 32). Il ordonne et ce qui tremble est affermi. S’il a affermi la cité chancelante, à plus forte raison pourra-t-il affermir l’Église.
L’Église est plus forte que le ciel. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas (Mt 24, 35). Quelles paroles ? Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle (Mt 16, 18).
Si vous n’accordez pas foi au discours, croyez les faits. Que de tyrans ont voulu renverser l’Église ? Que de tortures employées pour cela : chevalets, fournaises, dents des bêtes, glaives acérés ! Et cela n’a pas abouti. Où sont les ennemis ? Ils ont été livrés au silence et à l’oubli. Et où est l’Église ? Elle brille plus que le soleil. Les œuvres des premiers se sont éteintes, ses œuvres à elle sont immortelles. Si lorsqu’ils étaient un petit nombre les membres de l’Église n’ont pas été vaincus, comment pourraient-ils être vaincus maintenant que la piété a rempli l’univers ?
Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. Et avec raison, car l’Église est plus chère à Dieu que le ciel. Ce n’est pas le ciel qui a pris corps, mais l’Église qui a pris chair. Le ciel existe à cause de l’Église, non pas l’Église à cause du ciel. Ne soyez donc pas troublés par les événements. Faites-moi la grâce d’une foi immuable. Ne voyez-vous pas que Pierre, marchant sur les eaux, pour avoir douté un peu, fut sur le point de sombrer, non pas à cause du mouvement tumultueux des flots, mais en raison de la faiblesse de sa foi ! Sont-ce par des suffrages humains que je suis arrivé là, à la tête de cette Église ? Est-ce en effet un homme qui m’y a conduit, pour qu’un homme m’en démette ? Je ne dis pas ces choses avec orgueil, à Dieu ne plaise, ni non plus pour me vanter, mais parce que je veux affermir ce qui est ébranlé chez vous.
Comme la ville avait retrouvé le calme, le diable s’est efforcé d’ébranler l’Église. Diable impur et scélérat, tu n’as pu te rendre maître des murs et tu penses ébranler l’Église ! L’Église consisterait-elle en des murs ? Non, elle consiste en la multitude des croyants. Voici, combien de solides colonnes, liées non pas avec du fer, mais étroitement liées par la foi. Je ne veux pas dire qu’une telle multitude dépasse l’ardeur du feu, mais que, n’y eut-il qu’un unique fidèle, tu n’en viendrais pas à bout. Vois encore quelles blessures t’ont infligées les martyrs. Il est arrivé souvent qu’une tendre jeune fille, une vierge, est entrée dans l’arène. D’apparence elle était plus tendre que de la cire, et elle devenait plus ferme que le roc. Tu déchirais ses flancs, mais tu n’as pu prendre sa foi. La nature de la chair était anéantie et la puissance de la foi n’a pas abdiquée. Le corps était consumé, l’esprit revigoré. La substance était supprimée et la piété subsistait. Tu n’as pu venir à bout d’une seule femme et tu comptes l’emporter sur un peuple si nombreux ! N’entends-tu pas cette parole du Seigneur : Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux (Mt 18, 20) ? Et là où un peuple aussi nombreux est uni par le lien de la charité, le Seigneur ne serait pas présent ? J’ai sa garantie : est-ce à ma propre force que je fais confiance ? Je possède sa parole : voilà mon appui, voilà ma sécurité, voilà mon havre de paix. Que l’univers se soulève, je possède cette parole, j’en lis le texte : voilà mon rempart, voilà ma sécurité. Quel texte ? Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps (Mt 28, 20).
Le Christ est avec moi, que vais-je craindre ? Même si les flots de la mer ou la colère des puissants s’élèvent contre moi, tout cela est aussi peu de chose pour moi qu’une toile d’araignée. Et sans l’amour que j’ai pour vous, je n’aurais pas refusé de partir aujourd’hui même. Car je ne cesse de dire : Seigneur, que ta volonté soit faite (Mt 6, 10). Non pas ce que veut un tel ou un tel, mais ce que tu veux. Telle est ma tour, telle est ma pierre inébranlable, tel est mon appui immuable. Si c’est la volonté de Dieu que cela arrive, que cela arrive ! S’il me veut ici, je le bénis ; s’il m’appelle ailleurs, je le remercie.
Que personne ne vous trouble. Appliquez-vous à la prière. Le diable a fait ces choses afin d’émousser votre zèle à la prière. Mais il n’a pas réussi. Au contraire, je vous trouve plus zélés et plus ardents. Demain, je viendrai me joindre à vos prières. Là où je suis, vous êtes-vous aussi. Et là où vous êtes, je suis moi aussi. Nous sommes un corps : le corps n’est pas séparé de la tête, ni la tête du corps. Serions-nous séparés par le lieu, nous serons unis par l’amour. La mort ne peut pas non plus couper cette unité. Car si le corps meurt, l’âme vit, et elle se souviendra de mon peuple. Vous êtes mes parents, comment pourrais-je vous oublier ? Vous êtes mes parents, vous êtes ma vie, vous êtes ma bonne réputation. Si vous faites des progrès, c’est mon honneur, de sorte que ma vie est une richesse déposée dans votre trésor. Je suis prêt à être immolé mille fois pour vous (et je ne vous fais aucune faveur, mais je paie simplement une dette. En effet, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jn 10, 11)) et pour elles, il se laisserait mille fois égorger, mille fois trancher la tête. Une telle mort est pour moi le fondement de l’immortalité, ces persécutions sont pour moi une nouvelle base de sécurité. De fait, suis-je traqué à cause de la richesse, pour que j’en sois affligé, à cause de crimes, pour que j’en sois abattu ? Non, mais à cause de mon amour pour vous, puisque je fais tout pour vous garder inébranlables, pour que personne ne s’introduise dans la bergerie, pour que le troupeau demeure intact. Le motif des combats me suffit pour couronne. Que ne souffrirais-je pas pour vous ? Vous êtes mes concitoyens, vous êtes mes parents, vous êtes mes frères, vous êtes mes enfants, vous êtes mes membres, vous êtes mon corps, vous êtes ma lumière, davantage encore, vous êtes plus doux pour moi que la lumière. En effet, la lumière du soleil ne m’apporte rien de comparable à ce que m’apporte votre charité. Le soleil m’est utile à présent, mais votre charité me prépare une couronne pour l’avenir.
Je vous dis ces choses à l’oreille. Qui pourrait concevoir une écoute plus bienveillante que la vôtre ? Vous avez veillé pendant un si grand nombre de jours, et rien n’a pu vous ébranler, ni la longueur du temps, ni les terreurs, ni les menaces ; vous avez généreusement triomphé de tout. Que dis-je, vous êtes devenus ce que j’ai toujours désiré : vous avez méprisez les choses temporelles, vous avez dit adieu à la terre, vous vous êtes élancés jusqu’au ciel ; vous vous êtes affranchis des liens du corps, vous luttez pour cette bienheureuse philosophie. Voilà mes couronnes, voilà la consolation, voilà le réconfort, voilà mon onction, voilà la vie, voilà le fondement de l’immortalité.
Questions de la semaine 1) D’où l’Église tire-t-elle sa force ? 2) Selon Chrysostome, comment doit-on réagir lorsque la barque de Saint Pierre prend l’eau ? |
Texte 2 – Syméon le Nouveau Théologien, « Chapitres théologiques, gnostiques et pratiques »in Philocalie des Pères Neptiques (XIe)

Ce recueil de cent petits chapitres est au fondement de la spiritualité orientale. Vingt-cinq d’entre eux s’intéressent à la gnose et à la théologie c’est-à-dire au passage de la lumière naturelle à la lumière de la Révélation.
Sur les trois modes de la prière.
Il y a trois modes de l’attention et de la prière, par lesquels l’âme, ou bien s’élève et progresse, ou bien tombe et se perd. Si elle use de ces trois modes en temps opportun et comme il faut, elle progresse. Mais si elle en use inconsidérément et à contretemps, elle tombe. L’attention doit donc être inséparablement liée à la prière, comme le corps est inséparablement lié à l’âme. L’une ne peut tenir sans l’autre. L’attention doit aller devant et guetter les ennemis, comme un veilleur. C’est elle qui la première doit connaître le péché et s’opposer aux pensées mauvaises qui entrent dans l’âme. Alors vient la prière, qui détruit et fait périr sur le champ toutes ces pensées mauvaises, contre lesquelles en premier lieu a lutté l’attention. Car celle-ci ne peut, à elle seule, les faire périr. Or c’est de ce combat de l’attention et de la prière que dépendent la vie et la mort de l’âme. Car si, par l’attention, nous gardons pure la prière, nous progressons. Mais si nous négligeons de garder pure la prière, si nous ne veillons pas sur elle, si nous la laissons souiller par les pensées mauvaises, nous sommes inutiles et nous ne progressons pas.
Il y a donc trois modes de l’attention et de la prière. Et il nous faut dire quelles sont les propriétés de chacun. Ainsi celui qui aime son salut pourra choisir le meilleur, et non le pire.
Du premier mode de l’attention et de la prière
Telles sont les propriétés du premier mode. Quand quelqu’un se tient en prière, il lève vers le ciel ses mains, ses yeux et son intelligence. Il se représente les pensées divines, les biens du ciel, les ordres des anges et les demeures des saints. Il rassemble brièvement et recueille en son intelligence tout ce qu’il a entendu dans les divines Écritures. Il porte ainsi son âme à désirer et à aimer Dieu. Il lui arrive parfois d’exulter, et de pleurer. Mais alors son cœur s’enorgueillit, sans qu’il le comprenne. Il lui semble que ce qu’il fait vient de la grâce divine, pour le consoler, et il demande à Dieu de le rendre toujours digne d’agir comme il le fait. C’est là une marque de l’erreur. Car le bien n’est pas bien quand il ne se fait pas sur la bonne voie et comme il faut. Quand bien même il vivrait dans une extrême hésykhia, il est impossible qu’un tel homme ne perde pas son bon sens et ne devienne pas fou. Mais même s’il n’en arrivait pas là, il ne saurait parvenir à la connaissance, ni maintenir en lui les vertus de l’impassibilité. C’est ainsi que se sont égarés ceux qui ont vu une lumière et un flamboiement avec les yeux de leur corps, qui ont senti un parfum avec leur propre odorat, et qui ont entendu des voix avec leurs propres oreilles, ou qui ont éprouvé des choses du même ordre. Les uns ont été possédés par le démon, et sont allés de lieu en lieu, hors d’eux-mêmes. D’autres ont reçu en eux les contrefaçons du démon: il leur est apparu comme un ange de lumière, et ils se sont fourvoyés, ils ne se sont jamais corrigés, ils n’ont jamais voulu écouter le conseil d’aucun frère. D’autres encore ont été poussés par le diable à se tuer : ils se sont jetés dans des précipices, ils se sont pendus. Qui pourrait décrire toutes les illusions par lesquelles le diable les égare ? Ce n’est guère possible.
Mais après ce que nous venons de dire, tout homme sensé peut comprendre, à quels dommages expose ce présent mode de l’attention et de la prière. De même, s’il arrive que l’un de ceux qui usent de ce mode n’en reçoive aucun mal, dès lors qu’il se trouve en compagnie d’autres frères (car ce sont surtout les anachorètes qui connaissent un tel mal), cependant, toute sa vie durant, il ne progressera pas.
Du deuxième mode
Tel est le deuxième mode de l’attention et de la prière. Quand quelqu’un recueille son intelligence en lui-même, en la détachant du sensible, quand il garde ses sens et rassemble toutes ses pensées pour qu’elles ne s’en aillent pas dans les choses vaines de ce monde, quand tantôt il examine sa conscience et tantôt il est attentif aux paroles de sa prière, quand à tel moment il court derrière ses pensées que le diable a capturées et qui l’entraînent dans le mal et la vanité, quand à tel autre moment, après avoir été dominé et vaincu par la passion, il revient à lui-même, il est impossible que cet homme, qui a en lui un tel combat, soit jamais en paix, ni qu’il trouve le temps de travailler aux vertus et reçoive la couronne de la justice. Car il est semblable à celui qui combat ses ennemis la nuit, dans les ténèbres. Il entend leurs voix et reçoit leurs coups. Mais il ne peut pas voir clairement qui ils sont, d’où ils viennent, comment et pourquoi ils le blessent, dès lors que le dévastent les ténèbres de son intelligence et les tourments de ses pensées. Il lui est impossible de se délivrer de ses ennemis, les démons qui le brisent. Le malheureux peine en vain, car il perd son salaire, dominé qu’il est par la vanité. Il ne comprend pas. Il lui semble qu’il est attentif. Souvent, dans son orgueil, il méprise et accuse les autres. Il s’imagine qu’il peut les conduire, et qu’il est digne de devenir leur pasteur. Il est semblable à cet aveugle qui s’engage à conduire d’autres aveugles.
Il est nécessaire que quiconque veut être sauvé sache le dommage que peut causer à l’âme ce deuxième mode, et qu’il fasse bien attention. Cependant ce deuxième mode est meilleur que le premier, comme la nuit où brille la lune est meilleure que la nuit noire.
Du troisième mode
Le troisième mode est vraiment chose paradoxale et difficile à expliquer. Non seulement ceux qui ne le connaissent pas ont du mal à le comprendre, mais il leur paraît presque incroyable. Il ne croient pas qu’une telle chose puisse exister, dès lors que, de nos jours, ce mode n’est pas vécu par beaucoup, mais par fort peu. Un pareil bien, je pense, nous a quittés en même temps que l’obéissance. Car c’est l’obéissance au père spirituel qui permet à chacun de ne plus se soucier de rien, dès lors qu’il remet ses soucis à son père, qu’il est loin désormais des tendances de ce monde, et qu’il est un ouvrier tout à fait zélé et diligent de ce mode. Encore lui faut-il trouver un maître et un père spirituel véritable, dégagé de toute erreur. Car celui qui, par une vraie obéissance, s’est consacré à Dieu et à son père spirituel, qui ne vit plus sa propre vie et ne fait plus sa propre volonté, mais est mort à toutes les tendances du monde et à son propre corps, par quelle chose passagère peut-il être vaincu ou asservi ? Ou quelle inquiétude et quels soucis peut avoir un tel homme ? C’est donc par ce mode, et par l’obéissance, que se dissipent et disparaissent tous les artifices des démons et toutes les ruses qu’ils trament pour entraîner l’intelligence dans toutes sortes de pensées. Alors l’intelligence de cet homme est délivrée de tout. C’est avec une grande liberté qu’elle examine les pensées que lui apportent les démons. C’est avec une réelle aptitude qu’elle les chasse. Et c’est avec un cœur pur qu’elle offre ses prières à Dieu. Tel est le commencement de la vraie voie. Ceux qui ne se consacrent pas à ce commencement peinent en vain, et ils ne le savent pas.
Or le commencement de ce troisième mode n’est pas de regarder vers le haut, d’élever les mains, d’avoir l’intelligence dans les cieux, et alors d’implorer le secours. Ce sont là, nous l’avons dit, les marques du premier mode : le propre de l’illusion. Ce n’est pas non plus de faire garder les sens par l’intelligence, de n’être attentif qu’à cela, de ne pas voir dans l’âme la guerre que lui font les ennemis et de ne pas y prêter attention. Car ce sont là les marques du deuxième mode. Celui qui les porte est blessé par les démons, mais il ne les blesse pas. Il est meurtri, et il ne le sait pas. Il est réduit en esclavage, il est asservi, et il ne peut pas se venger de ceux qui font de lui un esclave, mais les ennemis ne cessent de le combattre ouvertement et secrètement, et le rendent vaniteux et orgueilleux.
Mais toi, bien-aimé, si tu veux ton salut, il te faut désormais te consacrer au commencement de ce troisième mode. Après la parfaite obéissance que tu dois, comme nous l’avons dit, à ton père spirituel, il est nécessaire de faire tout ce que tu fais avec une conscience pure, comme si tu étais devant la face de Dieu. Car sans obéissance, jamais la conscience ne saurait être pure. Et tu dois la garder pure pour trois causes. Premièrement, pour Dieu. Deuxièmement, pour ton père spirituel. Troisièmement, pour les autres hommes et pour les choses du monde.
Tu dois garder ta conscience pure. Pour Dieu, c’est-à-dire ne pas faire ce que tu sais ne pas reposer Dieu et ne pas lui plaire. Pour ton père spirituel : faire tout ce qu’il te demande, ne pas en faire plus, et ne pas en faire moins, mais marcher selon son intention et selon sa volonté. Pour les autres hommes : ne pas leur faire ce que tu as en aversion et ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent. Pour les choses du monde : te garder de l’abus, autrement dit user de tout comme il faut, de la nourriture, de la boisson, des vêtements. En un mot, tu dois tout faire comme si tu étais devant Dieu, afin que ta conscience n’ait rien à te reprocher, quoi que tu fasses, et qu’elle n’ait pas à t’aiguillonner pour ce que tu n’as pas fait de bien. Suis ainsi la voie véridique et sûre du troisième mode de l’attention et de la prière, que voici.
Que l’intelligence garde le cœur au moment où elle prie. Qu’elle ne cesse de tourner dans le cœur. Et que du fond du cœur elle adresse à Dieu ses prières. Dès lors qu’elle aura goûté là que le Seigneur est bon, et qu’elle aura été comblée de douceur, elle ne s’éloignera plus du lieu du cœur, et elle dira les paroles mêmes de l’apôtre Pierre : « Il est bon d’être ici ». Elle n’arrêtera plus de veiller sur le cœur et de tourner en lui, poussant et chassant toutes les pensées qu’y sème l’ennemi, le diable. À ceux qui n’en ont aucune idée et qui ne la connaissent pas, cette œuvre salutaire paraît pénible et incommode. Mais ceux qui ont goûté sa douceur et ont joui du plaisir qu’elle leur donne au fond du cœur disent, avec le divin Paul : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? »
Car nos Pères, entendant le Seigneur dire dans le saint Évangile que c’est du cœur que sortent les mauvaises pensées, les meurtres, les prostitutions, les adultères, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes, et que c’est là ce qui souille l’homme, entendant aussi l’Évangile nous demander de purifier l’intérieur de la coupe, pour que l’extérieur également devienne pur, ont laissé toute autre œuvre spirituelle et se sont totalement adonnés à ce combat, c’est-à-dire à la garde du cœur persuadés que, par cette œuvre, ils pourraient aisément acquérir toute autre vertu, dès lors qu’il n’est pas possible qu’aucune vertu perdure autrement. Cette œuvre, certains parmi nos Pères l’ont appelée hésykhia du cœur, d’autres l’ont nommée attention, d’autres sobriété et vigilance, et réfutation, d’autres examen des pensées et garde de l’intelligence. C’est à cela que tous ont travaillé, et c’est par là que tous ont été rendus dignes des charismes divins. C’est pourquoi l’Écclésiaste dit : « Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse, et marche sur les voies de ton cœur intègre et pur, et éloigne de ton cœur les pensées. » L’auteur des Proverbes dit la même chose : Si la suggestion du diable t’assaille, « ne le laisse pas entrer dans ton lieu ». Par lieu, il entend le cœur Et notre Seigneur dit dans le saint Évangile : « Ne vous laissez pas entraîner », c’est-à-dire ne dispersez pas votre intelligence ici et là. Il dit ailleurs : « Bienheureux les pauvres en esprit », c’est-à-dire : Bienheureux ceux qui n’ont dans leur cœur aucune idée de ce monde, et qui sont pauvres, dénués de toute pensée mondaine. Tous nos Pères ont beaucoup écrit là-dessus. Quiconque le veut peut lire ce que disent Marc l’Ascète, Jean Climaque, Hésychius et Philothée le Sinaïte, l’Abbé Isaie, le grand Barsanuphe, et bien d’autres.
En un mot, celui qui n’est pas attentif à garder son intelligence ne peut pas devenir pur en son cœur, pour être jugé digne de voir Dieu. Celui qui n’est pas attentif ne peut pas devenir pauvre en esprit. Il ne peut pas non plus être affligé et pleurer, ni devenir doux et paisible, ni avoir faim et soif de la justice. Pour tout dire, il n’est pas possible d’acquérir les autres vertus autrement que par cette attention. C’est donc à elle que tu dois t’appliquer avant tout, afin de comprendre par l’expérience ce dont je t’ai parlé. Et si tu veux savoir comment faire, je te le dis ici, autant qu’il est possible. Sois bien attentif.
Il te faut avant tout garder trois choses. D’abord ne te soucier de rien, tant de ce qui est raisonnable que de ce qui est déraisonnable et vain, c’est-à-dire mourir à tout. Deuxièmement, avoir une conscience pure : que ta conscience n’ait rien à te reprocher. Troisièmement, n’avoir aucun penchant : que ta pensée ne se porte vers rien de ce qui est du monde. Alors assieds-toi dans un lieu retiré, demeure au calme, seul, ferme la porte, recueille ton intelligence loin de toute chose passagère et vaine. Pose ton menton sur ta poitrine, sois attentif à toi-même avec ton intelligence et tes yeux sensibles. Retiens un moment ta respiration, le temps que ton intelligence trouve le lieu du cœur et qu’elle y demeure tout entière. Au début, tout te paraîtra ténébreux et très dur. Mais quand tu auras travaillé sans relâche, nuit et jour, à cette œuvre de l’attention, ce miracle, tu découvriras en toi une joie continuelle. Car l’intelligence qui mène le combat trouvera le lieu du cœur. Alors elle voit au-dedans ce qu’elle n’avait jamais vu et qu’elle ignorait. Elle voit cet espace qui est à l’intérieur du cœur et elle se voit elle-même tout entière lumineuse, pleine de toute sagesse et de discernement. Désormais, de quelque côté qu’apparaisse une pensée, avant même que celle-ci entre, soit conçue et se forme, l’intelligence la chasse et la fait disparaître au nom de Jésus, c’est-à-dire avec l’invocation « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi ». C’est alors qu’elle commence à avoir les démons en aversion, qu’elle mène contre eux un combat sans relâche, qu’elle leur oppose l’ardeur naturelle, qu’elle les chasse, qu’elle les frappe, qu’elle les force à disparaître. Ce qui advient ensuite, avec l’aide de Dieu, tu l’apprendras seul, par l’expérience, grâce à l’attention de l’intelligence, et en gardant dans ton cœur Jésus, c’est-à-dire sa prière « Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi ». Un Père dit en effet : « Demeure dans ta cellule, et elle t’apprendra tout ».
Questions de la semaine 1) Le premier mode est de se tourner son attention vers Dieu en implorant secours, le deuxième de se concentrer sur la préservation des sens par l’intelligence et le troisième de chercher à se mettre devant Dieu dans tout ce que l’on fait ; dans chacun de ces modes, quel est le rôle de l’attention ? 2) Quelles sont les trois choses auxquelles il faut être attentif ? |