Cours de philosophie en ligne du CETAD
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PHILOSOPHIE ANCIENNE
Valentin et Ellen Davydov

SEMAINE 2
Ô Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée par la bouche des enfants, des tout-petits : rempart que tu opposes à l’adversaire, où l’ennemi se brise en sa révolte. A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur, tu l’établis sur les oeuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds : les troupeaux de boeufs et de brebis, et même les bêtes sauvages, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui va son chemin dans les eaux. Psaume 8 |
Les présocratiques : Textes
Les philosophes présocratiques sont à la recherche de la materia prima. Pour certains, c’est l’eau, pour d’autres, le feu, pour d’autres encore, les nombres…
Problématique de la semaine : Philosophie de la nature
Textes de la semaine
Texte 1 : Héraclite, Fragments, trad. Paul Tannery, in Paul Tannery, Pour l’histoire de la science héllène, Paris, Félix Alcan, 1887 (p. 190-3).[1]

1. Quant au logos, ce logos éternellement réel, les hommes à ce sujet sont sans compréhension tant qu’on ne leur en a pas parlé et quand on commence à leur en parler. Alors que toutes choses se produisent conformément au logos, on croirait qu’ils n’en ont pas fait l’expérience. Alors qu’ils ont en fait l’expérience de paroles et de faits analogues à ceux que je décris en distinguant chaque chose selon sa nature, et en expliquant comment elle est. Les autres hommes ne savent pas ce qu’ils font étant éveillés, de même qu’ils ne savent plus ce qu’ils ont fait [en rêve] dans leur sommeil.
2. …C’est pourquoi il faut s’attacher au commun. Car le commun unit. Mais lors que le logos est commun aux êtres vivants, la plupart s’approprient leur pensée comme une chose personnelle. […]
4. Si la félicité résidait dans les plaisirs du corps, nous dirions que les bœufs ont la félicité quand ils trouvent du foin à brouter. […]
6. Le soleil est nouveau chaque jour. […]
8. Ce qui s’oppose coopère, et de ce qui diverge procède la plus belle harmonie, et la lutte engendre toutes choses. […]
10. Unis sont tout et non tout, convergent et divergent, consonant et dissonant; de toutes choses procède l’un et de l’un toutes choses. […]
12. Pour ceux qui entrent dans les mêmes fleuves, autres et toujours autres sont les eaux qui s’écoulent ; et les âmes à partir des liquides s’en vont en vapeurs (chaudes et sèches).
[Zénon nomme l’âme une exhalaison (chaude et sèche) sensible.] […]
18. Si on n’espère pas, on ne trouvera pas l’inespéré; car on ne peut le chercher, il n’est pas de voie vers lui.
21. Tout ce que nous voyons éveillés est mort, tout ce que nous voyons endormis est sommeil.
22. Ceux qui cherchent de l’or retournent beaucoup de terre et trouvent peu.
23. Si ces choses [les crimes] n’étaient pas, ils ne reconnaîtraient pas le nom de la Justice. […]
28. Celui qui est le plus estimé connaît et préserve des apparences. Mais certes la justice s’empare des artisans et des témoins du faux.
29. Les meilleurs choisissent un seul bien en échange de tous les autres, la gloire éternelle en échange des choses mortelles. La multitude se rassasie comme des troupeaux.
30. Ce monde (cet ordre du monde – cosmos), le même pour tous, aucun des dieux, aucun des hommes ne l’a fait, mais toujours il a été, est et sera, feu toujours vivant, allumé selon la mesure, éteint selon la mesure.
31. Les conversions du feu; d’abord la mer, et de la mer, la moitié terre, la moitié ouragan. La mer s’écoule (il s’écoule comme mer) et est mesurée dans (eis) le même logos qu’avant l’apparition de la terre.
[La mer est l’apeiron, la matière. Le feu est la semence.]
32. Le un, cet unique sage, ne veut pas et en même temps veut être nommé du nom de Zeus.
33. La loi, c’est aussi obéir à la volonté de un.
34. Entendant sans comprendre, ils sont comme des sourds. Cette parole témoigne à leur sujet, que présents ils sont absents.
35. Les philosophes doivent être au courant de beaucoup de choses. […]
41. Être sage consiste en un seul point, qui est savoir que la pensée (gnomè) gouverne toutes choses au moyen de toutes choses.
42. Il faut éteindre l’ubris de préférence à l’incendie.
44. Le peuple doit défendre la loi comme une muraille.
45. On ne peut trouver les limites de l’âme, même en faisant toute la route, tant elle a un logos profond. […]
49. Nous entrons et n’entrons pas, nous sommes et ne sommes pas dans les mêmes fleuves. […]
53. La guerre est mère de toutes choses, reine de toutes choses, et elle fait apparaître les uns comme dieux, les autres comme hommes, et elle fait les uns libres et les autres esclaves.
54. L’harmonie invisible est plus que l’harmonie manifeste. […]
61. La mer est l’eau la plus pure et la plus souillée, buvable et salutaire pour les poissons, imbuvable et mortelle pour les hommes. […]
78. Le comportement humain n’enferme pas les connaissances ; le divin si.
79. L’homme est regardé comme sans raison par rapport à la divinité () comme l’enfant (nouveau-né) par rapport à l’homme.
80. Il faut savoir que la guerre est liaison, union (ó), que la justice est lutte, que toutes choses se produisent conformément à la lutte. […]
82. Le plus beau singe est laid comparé à l’espèce humaine.
83. L’homme le plus sage comparé à Dieu est un singe pour la sagesse, la beauté et le reste. […]
88. C’est une même chose qu’être vivant et mort, éveillé et dormant, jeune et vieux. Ces choses sont changées les unes dans les autres et de nouveau changées. […]
91. On ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve. [Toutes choses] se répandent et de nouveau se contractent, s’approchent et s’éloignent. […]
97. Les chiens aboient contre ceux qu’ils ne connaissent pas. […]
101. J’ai été en quête de moi-même. […]
107. Les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins pour les hommes qui ont une âme inculte.
108. De tous ceux dont j’ai entendu les discours, nul n’est parvenu à ceci, à savoir connaître qu’être sage est être séparé de toutes choses.
109. Il vaut mieux cacher son ignorance.
110. Il ne serait pas meilleur pour les hommes que tous leurs voeux soient accomplis.
111. La maladie fait trouver du plaisir dans la santé, le mal dans le bien, la famine dans l’abondance, l’épuisement dans le repos.
112. Etre raisonnable est la plus grande vertu, et la sagesse est de dire la vérité et d’agir conformément à la nature avec attention.
113. La raison est commune à tous.
114. Ceux qui parlent avec intelligence (ùó), il faut qu’ils se fortifient au moyen de ce qui est commun à [tous] [toutes choses] comme une ville avec la loi, et beaucoup plus fermement. Car toutes les lois humaines se nourrissent d’une seule loi divine. Car elle peut ce qu’elle veut et suffit à toutes choses et triomphe.
115. Le logos de l’âme est quelque chose qui s’accroît soi-même.
116. Il appartient à tous les hommes d’avoir la connaissance de soi et la sagesse.
117. L’homme quand il est ivre est conduit par un enfant tout petit et trébuche et ne fait pas attention où il va, ayant l’âme humide. […]
134. L’enseignement est un autre soleil pour ceux qui le reçoivent. […]
137. Tout est déterminé par la destinée.
Texte 2 : Parménide, “Le poème de Parménide”, in Pour l’histoire de la science hellène, de Thalès à Empédocle, trad. Paul Tannery, Paris, Félix Alcan, 1887 (révision de Samuel Béreau).[2]

…car le pensé et l’être sont une même chose.
IV
V
II m’est indifférent de commencer d’un coté ou de l’autre;
car en tout cas, je reviendrai sur mes pas.
VI
II faut penser et dire que ce qui est; car il y a être :
il n’y a pas de non-être; voilà ce que je t’ordonne de proclamer.
Je te détourne de cette voie de recherche.
où les mortels qui ne savent rien
[5]s’égarent incertains; l’impuissance de leur pensée
y conduit leur esprit errant: ils vont
sourds et aveugles, stupides et sans jugement;
ils croient qu’être et ne pas être est la même chose et n’est pas
la même chose; et toujours leur chemin les ramène au même point.
VII
Jamais tu ne feras que ce qui n’est pas soit;
détourne donc ta pensée de cette voie de recherche;
que l’habitude n’entraîne pas sur ce chemin battu
ton oeil sans but, ton oreille assourdie,
[5] ta langue; juge par la raison de l’irréfutable condamnation
que je prononce.
VIII
II n’est plus qu’une voie pour le discours,
c’est que l’être soit; par là sont des preuves
nombreuses qu’il est inengendré et impérissable,
universel, unique, immobile et sans fin.
[5] Il n’a pas été et ne sera pas; il est maintenant tout entier,
un, continu. Car quelle origine lui chercheras-tu ?
D’où et dans quel sens aurait-il grandi? De ce qui n’est pas? Je ne te permets
ni de dire ni de le penser; car c’est inexprimable et inintelligible
que ce qui est ne soit pas. Quelle nécessité l’eût obligé
[10] plus tôt ou plus tard à naître en commençant de rien?
Il faut qu’il soit tout à fait ou ne soit pas.
Et la force de la raison ne te laissera pas non plus, de ce qui est,
faire naître quelque autre chose. Ainsi ni la genèse ni la destruction
ne lui sont permises par la Justice; elle ne relâchera pas les liens
[15] où elle le tient. [ Là-dessus le jugement réside en ceci ] :
Il est ou n’est pas; mais il a été décidé qu’il fallait abandonner
l’une des routes, incompréhensible et sans nom, comme sans vérité,
prendre l’autre, que l’être est véritablement. Mais comment
ce qui est pourrait-il être plus tard? Comment aurait-il pu devenir?
[20] S’il est devenu, il n’est pas, pas plus que s’il doit être un jour.
Ainsi disparaissent la genèse et la mort inexplicables.
II n’est pas non plus divisé, car Il est partout semblable;
nulle part rien ne fait obstacle à sa continuité, soit plus,
soit moins; tout est plein de l’être,
[25] tout est donc continu, et ce qui est touche à ce qui est.
Mais il est immobile dans les bornes de liens inéluctables,
sans commencement, sans fin, puisque la genèse et la destruction
ont été, bannies au loin. Chassées par la certitude de la vérité.
il est le même, restant en même état et subsistant par lui-même;
[30] tel il reste invariablement ; la puissante nécessité
le retient et l’enserre dans les bornes de ses liens.
II faut donc que ce qui est ne soit pas illimité ;
car rien ne lui manque et alors tout lui manquerait.
C’est une même chose, le penser et ce dont est la pensée;
[35] car, en dehors de l’être, en quoi il est énoncé,
tu ne trouveras pas le penser; rien n’est ni ne sera
d’autre outre ce qui est; la destinée l’a enchaîné
pour être universel et immobile; son nom est Tout,
tout ce que les mortels croient être en vérité et qu’ils font
[40] naître et périr, être et ne pas être,
changer de lieu. muer de couleur.
Mais, puisqu’il est parfait sous une limite extrême!
il ressemble à la masse d’une sphère arrondie de tous côtés,
également distante de son centre en tous points. Ni plus
[45] ni moins ne peut être ici ou là;
car il n’y a point de non-être qui empêche l’être d’arriver
à l’égalité; il n’y a point non plus d’être qui lui donne,
plus ou moins d’être ici ou là, puisqu’il est tout, sans exception.
Ainsi, égal de tous côtés, il est néanmoins dans des limites.
[50] J’arrête ici le discours certain, ce qui se pense
selon la vérité; apprends maintenant les opinions humaines ;
écoute le décevant arrangement de mes vers.
– On a constitué pour la connaissance deux formes sous deux noms ;
c’est une de trop, et c’est en cela que consiste l’erreur.
[55] On a séparé et opposé les corps, posé les limites
qui les bornent réciproquement; d’une part, le feu éthérien,
la flamme bienfaisante, subtile, légère, partout identique à elle-même,
mais différente de la seconde forme; d’autre part, celle-ci,
opposée à la première, nuit obscure, corps dense et lourd.
[60] Je vais t’en exposer tout l’arrangement selon la vraisemblance,
en sorte que rien ne t’échappe de ce que connaissent les mortels.
Texte 3 : Platon République VI, 493a‑494a, trad. Louis Guillermit, in Platon par lui-même, Paris, Garnier Flammarion, 1994 (p 59-60).[3]

Socrate – Il n’est aucun des individus mercenaires que précisément ces démagogues nomment sophistes et regardent comme leurs rivaux, qui enseignent autre chose que les croyances professées par la masse chaque fois qu’elle s’assemble, et qui ne lui donne le nom de sagesse. Ils ressemblent en tous points à quelqu’un qui, chargé d’élever un animal gros et fort, se serait informé en détail de ses instincts et appétits ; par où il faut l’approcher et par où le toucher; à quels moments il est le plus agressif et le plus inoffensif et pourquoi; les cris qu’il a coutume de pousser selon les circonstances ; quels sons proférés par autrui l’apaisent ou l’irritent ; après quoi, instruit à fond de tout cela par une longue fréquentation de la bête, il nommerait science cette expérience, et après l’avoir mise en forme de manuel, il en ferait un objet d’enseignement; sans vraiment savoir en rien ce que ces croyances et désirs comportent de beau ou de laid, de bon ou de mauvais, de juste ou d’injuste, il réglerait l’emploi de tous ces termes sur les avis de la grosse bête, nommant bonnes les choses qui lui plaisent, mauvaises celles qui lui déplaisent; faute d’en avoir aucune autre justification, c’est ce qui est nécessaire qu’il qualifierait de juste et de beau ; et il serait tout aussi incapable de voir que de montrer à autrui à quel point la nature du nécessaire diffère réellement de celle du bon. Ne te semble‑t‑il pas qu’un tel homme serait un éducateur bien étrange ?
Adimante – Si…
Socrate – Or te paraît‑il différent de celui qui pense que le savoir consiste à s’être informé de l’instinct et des goûts d’une multitude composite en son assemblée, que ce soit en matière de peinture, de musique ou de politique ? Car c’est un fait : si quelqu’un s’adresse à la masse pour lui soumettre un poème ou une œuvre quelconque ou une mesure d’intérêt public, en la laissant juge plus qu’il n’est nécessaire, il est fatal qu’il soit forcé de faire ce qui a l’approbation de ces gens‑là ; et que ce soit vraiment bon et beau, as‑tu jamais entendu l’un de ceux‑ci en donner une raison qui ne soit pas ridicule ?
Adimante – Je pense même que je n’en entendrai jamais.
Socrate – Après avoir réfléchi à tout cela, rappelle‑toi ceci : est‑il possible de faire en sorte que la masse admette ou soutienne que c’est le beau en soi qui a l’existence, et non pas la multiplicité des belles choses que c’est chaque chose en soi qui existe, et non pas la multiplicité des choses singulières ?
Adimante – Pas le moindrement…
Socrate – Ainsi, il est impossible que la masse soit philosophe.
Adimante – C’est impossible.
Socrate – Et il est inévitable qu’elle vilipende les philosophes.
Adimante – C’est inévitable.
Socrate – De même les individus qui la fréquentent avec le désir de lui plaire.
Adimante – C’est évident.
Questions de la semaine Question générale : Qu’est-ce que la Prima materia ? Question texte 1 : En quoi la nature de la vie est-elle le changement ? Question texte 2 : “L’être est et le non-être n’est pas”, pourquoi la compréhension de cela doit pour Parménide être au fondement de l’agir humain? Question texte 3 : Selon Platon, pouvons-nous tous être philosophes ? |
[1] http://palimpsestes.fr/morale/heraclite_fragments.html#1
[2] http://philoctetes.free.fr/unicodeparmenide.htm
[3] https://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/rep4.htm