Cours de philosophie en ligne du CETAD 

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LE SUJET – QUI SUIS-JE ?

Valentin et Ellen Davydov 

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(Le portrait de Dorian Gray, 1945)

SEMAINE 4

  Vanité des vanités disait Qohèleth. Vanité des vanités, tout est vanité !
Quel profit l’homme retire-t-il de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ? Une génération s’en va, une génération s’en vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche ; il se hâte de retourner à sa place, et de nouveau il se lèvera. Le vent part vers le sud, il tourne vers le nord ; il tourne et il tourne, et recommence à tournoyer. Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est pas remplie ; dans le sens où vont les fleuves, les fleuves continuent de couler. Tout discours est fatigant, on ne peut jamais tout dire. L’œil n’a jamais fini de voir, ni l’oreille d’entendre. Ce qui a existé, c’est cela qui existera ; ce qui s’est fait, c’est cela qui se fera ; rien de nouveau sous le soleil. Y a-t-il une seule chose dont on dise : « Voilà enfin du nouveau ! » – Non, cela existait déjà dans les siècles passés. Mais, il ne reste pas de souvenir d’autrefois ; de même, les événements futurs ne laisseront pas de souvenir après eux.
Ec 1, 2-11

L’HOMME FACE À DIEU

D’autrui c’est maintenant vers Dieu que l’on se tourne. Qui est Dieu pour l’homme ? Peut-on dire qu’il est le tout-autre ou est-ce qu’il y a entre l’homme et Dieu moins qu’on ne le dirait à première vue ? Quel est le pouvoir de l’homme sur Dieu ? L’homme est-il radicalement soumis à Dieu tel un esclave ? Il est dans notre nature humaine d’interroger, de chercher d’où l’on vient, où l’on va, s’il y a quelque chose au-delà de nous ou en nous. Ces interrogations nous portent vers Dieu : nous cherchons Dieu pour trouver une clef à notre vie.

Question générale de la semaine
Est-il absurde de croire en Dieu ?
 

Textes de la semaine

Texte 1 – L’homme comme créature à l’image de Dieu : Thomas d’Aquin, Somme théologique, Question 93, article 1 (1274)

La Somme théologique est un traité philosophique et théologique fondamental de Thomas d’Aquin. Commencée en 1265, elle n’était pas achevée à la mort de l’auteur (1274). Selon son projet initial, Thomas d’Aquin avait l’intention de ne compiler qu’un « guide pour les débutants », qui concentrerait en un seul volume la présentation et l’examen de toutes les principales doctrines théologiques de son temps. En réalité, le théologien a compilé un recueil fondamental de pratiquement tous les problèmes de la théologie chrétienne en Occident, qu’il a soumis à une analyse scolastique méticuleuse.

Article 1 : L’image de Dieu est-elle dans l’homme ?

          Objection N°1. Il semble que l’image de Dieu ne soit pas dans l’homme. Car il est dit dans Isaïe (40, 18) : A qui avez-vous assimilé Dieu, ou par quelle image le représentez-vous ?

Réponse à l’objection N°1 : Le prophète parle des images corporelles fabriquées de main d’homme, et c’est pourquoi il dit : Sur quelle image le représenterez-vous ? Mais Dieu a imprimé lui-même dans l’homme son image spirituelle.

Objection N°2. C’est le propre du Fils unique de Dieu d’être son image. Car l’Apôtre dit de lui (Col., 1, 15) qu’il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toutes les créatures. L’image de Dieu n’existe donc pas dans l’homme.

Réponse à l’objection N°2 : Le premier-né de toutes les créatures est l’image parfaite de Dieu et il reproduit parfaitement celui dont il est l’image. C’est pourquoi on dit qu’il est l’image et non qu’il est à l’image de Dieu. Mais l’homme est appelé l’image de Dieu à cause de la ressemblance qu’il a avec lui, et on dit qu’il est à son image parce que cette ressemblance est imparfaite. Et comme la ressemblance parfaite de Dieu ne peut exister qu’à la condition de l’identité de nature, son image est dans son Fils unique comme l’image du roi est dans le fils qui a la même nature que lui. Mais elle ne peut-être dans l’homme dont la nature est toute différente que comme l’image du roi est sur une monnaie d’argent, selon l’expression de saint Augustin (Lib. de decchordis, chap. 8).

Objection N°3. Saint Hilaire dit (in lib. de Syn.) que l’image est une représentation qui ne diffère en rien de l’objet auquel elle se rapporte. Et ailleurs il ajoute que l’image est la ressemblance parfaite d’une chose qu’on veut égaler à une autre. Or, il n’y a rien qui représente également Dieu et l’homme, et il ne peut pas y avoir d’égalité de l’homme à Dieu. Donc l’image de Dieu ne peut exister dans l’homme.

Réponse à l’objection N°3 : Ce qui est un étant un être indivis, la ressemblance s’entend de l’apparence ou de l’espèce dans le même sens que de l’unité. Ainsi on dit qu’une chose est une non seulement en nombre, en espèce ou en genre, mais encore d’après une certaine analogie ou proportion. Telle est l’unité ou la convenance qui existe de la créature à Dieu. Quant à l’égalité de l’image et de son objet elle n’appartient qu’à l’essence de l’image parfaite (Qui est le Verbe de Dieu, la seconde personne de la sainte Trinité.).

Mais c’est le contraire. Car il est dit dans la Genèse (1, 26) : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.

Conclusion Puisque dans l’homme on trouve une ressemblance de Dieu analogue à celle qui existe entre une copie et son original, et que d’ailleurs il n’y a pas d’égalité entre eux, il s’ensuit que l’image de Dieu existe dans l’homme, mais imparfaitement.

Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Quæst., liv. 83, quest. 74), là où il y a image il y a toujours ressemblance, mais que là où il y a ressemblance il n’y a pas toujours image. D’où il résulte que la ressemblance est de l’essence de l’image, et que l’image ajoute quelque chose à la nature de la ressemblance, par exemple, qu’elle est l’expression d’un autre objet. Car le nom d’image lui vient de ce qu’elle est produite à l’imitation d’une autre chose. Ainsi un œuf a beau ressembler à un autre œuf et l’égaler, par là même qu’il n’est pas son expression, on ne dit pas qu’il est son image. L’égalité n’est pas toutefois de l’essence de l’image, parce que, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), là où il y a image il n’y a pas toujours égalité, comme on le voit par l’image d’une personne qui se reflète dans un miroir. L’égalité est cependant de l’essence de l’image parfaite ; car, pour qu’une image soit parfaite, il faut qu’il ne lui manque rien de ce qui existe dans l’objet qu’elle exprime. Or, il est évident que dans l’homme on trouve une certaine ressemblance de Dieu analogue à celle qui existe entre une copie et son original. Cette ressemblance ne se fonde pas toutefois sur l’égalité ; car il y a l’infini de distance entre la copie et le type qu’elle reproduit. C’est pourquoi on dit que l’image de Dieu qui est dans l’homme n’est pas parfaite, mais imparfaite. C’est ce que l’Ecriture exprime quand elle dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu. Car la préposition à indique un certain rapprochement qui lui-même suppose qu’il s’agit de choses éloignées.

  Questions de la semaine
1) Lorsqu’on dit que l’homme a été créé à l’image de Dieu, quel est le sens du mot « image » ?
2) En quoi le Christ et l’homme sont-ils « image » de Dieu de façon différente ?
3) La « ressemblance » entre l’homme et Dieu est-elle donnée ou acquise ?  

Texte 2 – L’homme comme meurtrier de Dieu : Nietzsche, Le gai savoir, §125 (1882)

Le gai savoir est un ouvrage de Friedrich Nietzsche écrit en 1881. Il se compose de plusieurs livres de longueurs différentes, consacrés à des problèmes tels que l’essence du mal (premier livre), le rapport entre l’art et la nature (deuxième livre), et l’ordonnancement du monde selon les lois de la logique (troisième livre).

L’insensé. — N’avez-vous pas entendu parler de cet homme fou qui, en plein jour, allumait une lanterne et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! » — Comme il se trouvait là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu son cri provoqua une grande hilarité. A-t-il donc été perdu ? disait l’un. S’est-il égaré comme un enfant ? demandait l’autre. Ou bien s’est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S’est-il embarqué ? A-t-il émigré ? — ainsi criaient et riaient-ils pêle-mêle. Le fou sauta au milieu d’eux et les transperça de son regard. « Où est allé Dieu ? s’écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l’avons tué, — vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon ? Qu’avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil ? Où la conduisent maintenant ses mouvements ? Où la conduisent nos mouvements ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en-haut et un en-bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Le vide ne nous poursuit-il pas de son haleine ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas sans cesse venir la nuit, plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes avant midi ? N’entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la décomposition divine ? — les dieux, eux aussi, se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu’à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau — qui effacera de nous ce sang ? Avec quelle eau pourrons-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d’inventer ? La grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux pour du moins paraître dignes des dieux ? Il n’y eut jamais action plus grandiose, et ceux qui pourront naître après nous appartiendront, à cause de cette action, à une histoire plus haute que ne fut jamais toute histoire. » — Ici l’insensé se tut et regarda de nouveau ses auditeurs : eux aussi se turent et le dévisagèrent avec étonnement. Enfin il jeta à terre sa lanterne, en sorte qu’elle se brisa en morceaux et s’éteignit. « Je viens trop tôt, dit-il alors, mon temps n’est pas encore accompli. Cet événement énorme est encore en route, il marche — et n’est pas encore parvenu jusqu’à l’oreille des hommes. Il faut du temps à l’éclair et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions, même lorsqu’elles sont accomplies, pour être vues et entendues. Cet acte-là est encore plus loin d’eux que l’astre le plus éloigné, — et pourtant c’est eux qui l’ont accompli ! » — On raconte encore que ce fou aurait pénétré le même jour dans différentes églises et y aurait entonné son Requiem æternam deo. Expulsé et interrogé il n’aurait cessé de répondre la même chose : « À quoi servent donc ces églises, si elles ne sont pas les tombes et les monuments de Dieu ? »

  Questions de la semaine
1) En quoi l’homme dont parle le texte est-il « fou » ?
2) Pourquoi le fou parle du meurtre de Dieu comme d’un acte « grandiose » ?
3) Que signifie la phrase finale de l’insensé : « À quoi servent donc ces églises, si elles ne sont pas les tombes et les monuments de Dieu ? » ?  

Texte 3 – L’homme à la recherche de Dieu : Pascal, Pensées, Fragment 397 (1670)

Les pensées est un recueil de 912 idées du scientifique et philosophe français Blaise Pascal, compilées entre 1657 et 1658. Il s’agit d’une collection éparse de discours sur des sujets religieux et philosophiques.

Examinons donc ce point, et disons : « Dieu est, ou il n’est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n’en savez rien. – « Non ; mais je les blâmerai d’avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier. » – Oui ; mais il faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la misère. Votre raison n’est pas plus blessée, en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. – « Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop. » – Voyons. Puisqu’il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n’aviez qu’à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gagner ; mais s’il y en avait trois à gagner, il faudrait encore jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé de jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois, à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur. Et cela étant, quand il aurait une infinité de hasards, dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux ; et vous agiriez de mauvais sens, en étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d’une infinité de hasards il y en a un pour vous, s’il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti : partout où est l’infini, et où il n’y a pas infinité de hasards de perte contre celui du gain, il n’y a point à balancer, il faut tout donner. Et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison pour garder la vie, plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant. Car il ne sert de rien de dire qu’il est incertain si on gagnera, et qu’il est certain qu’on hasarde, et que l’infinie distance qui est entre la certitude de ce qu’on s’expose, et l’incertitude de ce qu’on gagnera, égale le bien fini, qu’on expose certainement, à l’infini, qui est incertain. Cela n’est pas ; aussi tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n’y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu’on s’expose et l’incertitude du gain ; cela est faux. Il y a, à la vérité, infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l’incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu’on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte. Et de là vient que, s’il y a autant de hasards d’un côté que de l’autre, le parti est à jouer égal contre égal ; et alors la certitude de ce qu’on s’expose est égale à l’incertitude du gain : tant s’en faut qu’elle en soit infiniment distante. Et ainsi, notre proposition est dans un force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner. Cela est démonstratif ; et si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l’est.

  Questions de la semaine
1) Pourquoi est-il nécessaire de parier ?
2) En quoi le gain est-il incertain ?
3) Pourquoi vaut-il mieux croire que de ne pas croire ?