Entretien avec Richard McNicol et Victoria Nevard éduquer et soigner par la musique

(19 octobre 2014, fait par Ellen Moysan à Bristol, UK)

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Richard McNicol

Etudes à Oxford

Membre du London Philharmonic Orchestra

1977 fonde Apollo Trust pour créer des liens entre les ochestres professionels et les écoles

Jusqu’à 2006 est animateur au London Symphonic Orchestra. Projets dans des écoles en France, Allemagne, Autriche, Suisse, Espagne, Iceland, Norvège, Finlande, Suède, Dannemark, Israël, Canada, USA.

2004. Elu Member of the Royal Philharmonic Society en reconnaissance de son travail pionier dans le domaine de l’éducation musicale.

Depuis 2006 monte et dirige le programme éducatif Klavier-Festival Ruhr; concerts et workshops, Orchestre de Paris

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Victoria Nevard

Sans titre

Carrière à Londres. Etudes en Psychodynamic counsellor.

Expérience en hôpital, soins du cancer, soins palliatifs, pratique privée.

Croyant que la musique a un effet très puissant sur l’âme humaine elle monte The Nevard Charitable Trust (www.synergy828.com) qui a pour but de rejoindre chacun, selon sa tradition, foi (ou non) pour le soulager des fatigues physiques et mentales grâce à un travail spirituel par la musique et les mots.

Clarinettiste. Pianiste.

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C’est la première fois que je rencontre deux personnes à la fois. Je suis donc très curieuse de vous entendre tous les deux parce que vous avez des activités liées à la musique de manière différente qui vous donnent très certainement une vision différente des choses. 

Richard McNicol : précisément, je n’arrive pas très bien à comprendre ce sur quoi vous travaillez.

Par le témoignage des musiciens qui me livrent leur expérience de ce qu’est « jouer de la musique », j’essaye de parvenir à deux choses : la description des trois étapes de l’interprétation musicale dans leur spécificité (lire une partition, l’entendre, la jouer), et l’analyse du son dans ses différentes formes (comme signe sur la partition, comme « vision sonore » ou « chant intérieur » lorsqu’il s’incarne dans une personnalité, comme son réel lorsqu’il est exprimé par l’instrument).

R. McN : c’est assez flou, large et compliqué !

Oui bien sûr… mais ce n’est pas pour cela qu’il faut renoncer à comprendre à mon avis. Les musiciens ont l’expérience, les philosophes ont les outils d’analyse, pourquoi ne pas croiser cela pour augmenter la compréhension des choses ?

R. McN : je ne sais pas trop ce que je peux vous dire car pour moi ce n’est pas quelque chose de conscient : je prends ma flûte et je joue, voilà ! Et puis qu’est-ce que vous entendez par « intériorité » ? C’est quelque chose de vague vraiment.

Je crois qu’avec cette question on entre vraiment dans la fracture qui sépare la philosophie analytique de la phénoménologie. Peut-on parler de choses comme l’intériorité, le « chant intérieur », le « son interne » autrement que par métaphore ? Il me semble que oui, par l’écoute de l’expérience personnelle, par l’analyse phénoménologique… mais je dois avouer que je suis clairement partie prise de mon propre discours !

R. McN : alors qu’est-ce que je pourrais vous dire ?

Vous venez de me dire que lorsque vous jouez, vous prenez votre flûte et voilà. Mais ce n’est pas parfait du premier coup. Cela signifie donc qu’il y a un moment de préparation, et pendant ce moment, ce travail quotidien, vous raffinez votre interprétation.

R. McN : peut-être lorsqu’on est soliste mais lorsqu’on est musicien d’orchestre c’est tout différent. Lorsque j’étais au London Philharmonic Orchestra nous avions très peu de répétitions. On nous donnait la partition et on devait la jouer instantanément en faisant en sorte que ce soit en place. On n’a pas le temps d’entendre ce qui se passe en soi comme ça, on est pressés, il faut jouer !

Oui… mais dans un sens ça a déjà été fait avant parce que vous arrivez entant que musicien formé. Comment serait-il possible, sans cette très longue formation, de jouer directement comme il faut ?

R. McN : on apprend la technique du déchiffrage, c’est un exercice en soi. Plus on en fait plus ça devient automatique de tout mettre en place en même temps (nuance, rythme, hauteur de notes etc.).

Et ensuite, une fois musicien accompli, comment pouvez-vous mettre « en place » en étant sûr que c’est ce qu’il faut ?

R. McN : je crois que c’est l’habitude qui fait beaucoup. Si on a un bon répertoire on sait que le « sforzando » veut dire quelque chose de différent chez Bach ou chez Beethoven. C’est une question de temps, d’expérience.

Quel est le critère qui permet de discriminer entre le correct et l’incorrect ?

R. McN : on sait ce qui est logique en se situant par rapport à ce que veut le compositeur.

Vous comprenez ce qu’il désire. En somme, lorsque vous jouez il y a à la fois de l’objectif : Bach, et du subjectif : vous, mais ce que vous faites est défini par ce qui est « demandé » par la partition.

Victoria Nevard : je crois qu’il y a une fusion entre les deux.

Pourtant, j’imagine qu’on ne parvient pas tout de suite à comprendre exactement ce que veut le compositeur. On a des doutes.

R. McN : oui c’est vrai. Parfois je lis quelque chose, et puis je me rends compte que le thème est répété trois portées plus bas, donc qu’il n’a pas le même sens lorsqu’il apparaît pour la première fois, et pour la seconde, et je suis ainsi amené à corriger ce que j’entendais au début.

Comment ça se passe alors ?

R. McN : disons que je discute en moi de ce qui marche. Il y a une partie qui propose et une partie qui contrôle. Mais à la flûte ce n’est pas si compliqué… la flûte est un instrument facile !

Facile ???!

R. McN : Oui, la technique n’est pas aussi complexe que pour un violon ou un violoncelle, les combinaisons sont assez réduites, le mouvement est assez naturel. C’est aussi plus facile que la clarinette qui a un mécanisme et avec laquelle le son est plus difficile à trouver.

Comment ça ?

R.McN : le professeur ne peut pas prendre votre archet pour vous montrer, on ne rentre pas dans la gorge de son élève ! Il peut montrer et puis l’élève copie. Il a une idée du son qu’il veut et il se débrouille comme il peut avec la bouche qu’il a pour faire ce qu’il entend. Mais je répète, la flûte n’est pas si compliquée : on met la bouche au-dessus du trou et on souffle.

Tout de même, on ne devient pas flûtiste comme ça ! Je n’ai jamais réussi à souffler dans une flûte alors j’espère que c’est au moins un tout petit peu compliqué quand même ! Peut-être que vous étiez particulièrement doués et que c’était assez instinctif pour vous.

R.McN : c’est vrai qu’il y a des physiques plus ou moins prédisposés à un instrument. Il y a des types de bouches qui fonctionnent plus ou moins bien avec la flûte. J’ai remarqué que les cornistes avaient un peu tous une bouche à la Pétroushka vous savez, la marionnette.

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Oui je vois. Dans ce cas ça veut dire que certains physiques peuvent bloquer pour jouer d’un instrument en particulier.

R. McN : oui c’est vrai.

Le physique participe du don. C’est d’ailleurs comme prédisposition physique qu’en parle Anne-Marie Morin dans l’entretien que j’ai fait avec elle.

R. McN : c’est très complexe comme question, la notion de « don ». Je dirais que c’est une intelligence musicale, et puis aussi une connaissance musicale.

C’est-à-dire ?

R. McN : Pierre-Laurent Aimard par exemple est un génie. Il y a chez lui une connexion profonde entre le cerveau et les doigts, il comprend la logique de la musique, et puis il a une mémoire prodigieuse. Il apprend tout, il retient tout !

V. N. Emmanuel Ax aussi.

R. McN : oui lui aussi. Tu sais, ils ont un instinct naturel de la musique. Je crois qu’il y a une multiplicité d’intelligences différentes et que la musique est l’une d’elle.

Oui moi aussi.

R.McN : le footballeur a une intelligence physique, il sent l’espace, il sait la force qu’il doit mettre dans son coup de pied. Il y a ceux qui ont une intelligence sociales, ils sont sympathiques, ils sont du charisme etc.

Je comprends tout à fait ce que vous dites. Cela dit il y a sûrement d’autres facteurs qui font qu’on est à l’aise avec l’instrument. Est-ce que vous êtes d’une famille de musiciens ?

V. N : c’est intéressant comme question, pourquoi est-ce que c’est important pour vous de le savoir ?

Tout simplement parce qu’en général tous les musiciens que j’ai rencontrés étaient de familles de musiciens ou au moins de grand mélomanes, et que je suis de plus en plus persuadée que l’environnement a un impact décisif sur la manière dont l’enfant va approcher avec plus ou moins de facilité son instrument, s’il sera à l’aise avec lui ou pas.

R. McN : je suis d’une famille d’enseignants. Mes parents n’étaient pas musiciens mais on écoutait beaucoup de musique à la maison.

Quel genre de musique ?

R. McN : la musique classique… jusqu’à Brahms ! Ensuite mon père trouvait que ça n’en valait pas la peine.

C’est un peu sévère parce qu’il y a quand même eu deux ou trois personnes intéressantes après lui : Debussy… Scriabine…

R.McN : eh bien pas pour lui ! J’ai commencé la flûte à 14 ans mais j’avais fait du piano et de la flûte à bec auparavant dans ma campagne. Ensuite j’ai fait de la musicologie à Oxford. Ensuite j’ai rencontré un professeur qui m’a demandé : « est-ce que tu veux devenir musicien professionnel ? » et j’ai répondu oui. A ce moment-là le BBC Symphony Orchestra jouait Chronochromie de Messian, dirigé par Boulez. Ils m’ont mis troisième flûte et à un moment pendant la première répétition j’ai dû faire un solo à découvert. Je l’avais bien travaillé avant bien sûr. J’ai joué au concert… et j’ai été pris ! C’est comme ça qu’on devient musicien je crois : la vie nous met face à des situations dans lesquelles on fait des choix.

Je vois… l’environnement fait ce que je suis…  Il fait de moi une personne capable de s’exprimer par son instrument, de communiquer par le biais d’un instrument, et ainsi s’ouvrir un chemin qui touche l’autre. Quand je vais à un concert j’ai l’impression que le musicien ne parle qu’à moi. Il y a donc un contact individuel à travers son instrument, de personne à personne.

V. N : oui mais tu sais, il n’est pas nécessaire d’être un musicien professionnel pour que ça ait lieu. Je me souviens de ce jeune homme pronfondément autiste. Il était très violent. Fermé sur lui-même. Richard a commencé à jouer de la flûte, il s’est approché de lui en jouant.

R. McN : j’étais si près que nos nez se touchaient presque…

V.N :… petit à petit il s’est calmé. Le son a ouvert une porte, ce qui a permis de toucher le cœur d’une personne qui était auparavant particulièrement close sur elle-même

R.McN : il y a quelque chose dans la musique qui parle; une espèce de langage. Cette personne ne s’était jamais ouverte et là, à ce moment-là, il s’est passé quelque chose.

Il y a des programmes qui permettent de sortir des enfants de la violence des rues par l’apprentissage de l’instrument. C’est un peu le présupposé que ces programmes ont.

R.McN : enfin les politiciens disent que c’est la musique qui les a sauvés parce que c’est beau, que ça leur ouvre un monde, mais je crois que c’est autre chose. L’enfant « fait » quelque chose. Il communique avec son professeur. Il se dit qu’il peut jouer du violon. Il a de l’attention.

C’est la confiance de son entourage qui le change ?

R.McN : tout cela oui.

V.N : pour revenir à ce que tu disais de l’effet de la musique, je trouve que c’est particulièrement frappant avec la voix.

Comment ça ?

V. N : la voix est ce qui touche le plus. Regarde la mère avec l’enfant. Lorsqu’on travaille avec des personnes âgées et démentes on voit aussi qu’il suffit de chanter pour qu’ils s’apaisent. On est tout de suite réceptif à une voix, de manière beaucoup plus évidente qu’avec un instrument.

Oui c’est vrai. Pourquoi à votre avis ?

V.N : elle est un intermédiaire. C’est même l’intermédiaire le plus simple parce qu’elle est le corps, le physique.

R.McN : si je prends un enfant sur les genoux et que je chante nous sommes deux. Si je fais la même chose mais que je joue de la flûte… on est trois ! Il y a l’enfant, moi, et la flûte !

Pourtant il y a des vibrations. Ça devrait être pareil n’est-ce pas ?

R.McN : je ne crois pas. La voix participe d’un corps à corps. Avec la flûte c’est différent, je peux me cacher derrière ma flûte. Je joue, je fais ce qui me passe par la tête, et je détourne l’attention vers ma flûte.

Je crois que vous pouvez vous protéger derrière votre flûte parce que vous êtes justement en symbiose avec l’instrument. C’est parce que votre flûte, c’est vous, que vous pouvez utiliser la flûte comme paravent. Il peut aussi y avoir l’effet inverse : si je ne suis pas à l’aise avec mon instrument, celui-ci me met horriblement à découvert ! La moindre faute s’entend, je suis totalement à nu au contraire.

V.N : c’est bien vrai ce qu’elle dit. Si je suis connectée avec mon instrument, je suis mon instrument… et je fais ce que je veux.

R.McN : peut-être… Je crois que pour pouvoir avoir cette agilité il faudrait toujours être entraîné à improviser. Il m’est arrivé une fois d’avoir à travailler avec le Philharmonique de Berlin, excellent orchestre. A un moment j’ai demandé aux musiciens d’improviser et je me suis rendu compte qu’ils avaient peur de jouer sans partition.

Comment ça se fait ?

R. McN : c’est une question de formation je crois : certains musiciens ne sont pas habitués, d’autres n’ont tout simplement pas confiance dans leur capacité à inventer. Une fois, dans un lycée, toujours à Berlin, j’ai demandé à une corniste d’improviser. Elle a joué une note puis s’est arrêtée en disant : « c’est faux ». Mais comment cela pouvait être faux ?? Elle n’avait joué qu’une seule note ! Improviser c’est enchaîner une note, puis un autre, jouer ce qu’on invente. Il faut avoir confiance en soi, pas se sentir sous pression au point d’être incapable d’enchaîner deux notes !

C’est vrai que ce n’est pas évident. La partition est une sécurité et c’est un peu un saut dans le vide que de s’en passer. Pourtant il est vrai que l’improvisation connecte énormément à son instrument. Depuis que j’ai commencé à m’amuser à faire les basses au violoncelle en écoutant des CDs de jazz je me sens beaucoup plus à l’aise avec mon instrument, le son sort mieux, les doigts sont plus précis etc. L’effet est garanti !

R. McN : c’est cette capacité à créer que nous essayons de faire émerger lors de nos concerts éducatifs. Lorsque j’étais flûtiste au London Philharmonic Orchestra, l’orchestre a organisé des concerts éducatifs  mais c’était ennuyeux. La musique n’était pas bien présentée. Du fond de ma chaise je me suis alors dit qu’il était possible de faire cela autrement afin d’intéresser vraiment les enfants, de les éveiller.

Comment avez-vous fait ?

R.McN : j’ai été instituteur auparavant et je dois dire que cette expérience m’a beaucoup aidée pour trouver des moyens d’action.

Quelle méthode employez-vous donc ?

R.McN : je pose des questions. Je ne suis pas directif. Je ne dis jamais à quelqu’un qu’il a tort. Je ne résous pas les problèmes.

Et pratiquement parlant ?

R.McN : par exemple,  je joue un petit coup au xylophone puis je demande à quelqu’un de continuer. Peu à peu l’atmosphère se dégèle et un enfant commence. Il joue une note. Puis une deuxième.

V.N : c’est amusant parce que les professeurs sont presque plus timides que les enfants lorsqu’on leur demande de commencer à jouer d’un instrument !

Tiens ça ne m’étonne pas… Plus on est adulte plus on oublie d’être spontanés… Mais du coup, quel est votre but exactement ?

R.McN : il s’agit pour nous d’aider les enfants à inventer de la musique en créant quelque chose ensemble. On fait des groupes, chacun a une partie, et à la fin on joue tous ensemble autour d’un refrain. Chacun est un élément du tout.

V.N : les enfants entendent tous la musique. Ici on cherche à les aider à la comprendre en les faisant participer.

R.McN : oui, on cherche à leur faire comprendre la forme par exemple.

V.N : pour le projet de Petrouchka vous avez donnée l’idée d’organiser une fête, un jeu.

R.McN : oui c’est cela. Le plus gratifiant a été lorsqu’une fois, avec le LSO, j’ai fait travailler les enfants puis nous avons joué Stravinsky. A la sortie, lorsque je quittais la scène, un petit s’est approché de moi et m’a dit : « Comment a-t-il pu voler notre pièce ? ».

Il était entré dans la musique. Il s’était senti vraiment créateur. Vous aviez atteint votre but en quelques sortes.

R.McN : oui.

V.N : je crois que l’enfant est heureux lorsqu’il est capable de comprendre ce qu’il entend et qu’il se sent véritablement créatif. C’est valorisant.

Oui bien sûr ! La musique est également un grand apprentissage humain. Je ne sais pas si vous connaissez Parallèles et Paradoxe écrit par E.Saïd et D.Banrenboïm, c’est un livre que j’aime beaucoup où le philosophe et le musicien parlent ensemble de ce qu’apprend la pratique musicale : écoute, dialogue, respect de l’autre etc.

R.McN : oui je connais. C’est exactement l’idée que je cherche à mettre en pratique : faire l’apprentissage de l’unité, de la négociation, de la tolérance, de l’écoute. Le travail de BarenboÏm est impressionant je trouve : il fait travailler ensemble des peuples qui ne se parlent pas normalement, qui ne se fréquentent pas, qui sont même en guerres. Malgré tout cela ils arrivent tout de même à créer quelque chose d’unique et unifié.

Oui.

R.McN : j’ai fait la même expérience lorsque je suis intervenu en Irlande du Nord. Il y avait des enfants protestants et d’autres catholiques, tous ensembles. Certains parents n’ont pas voulu venir. Le climat politique était difficile tu sais.

Encore aujourd’hui ?

R.McN : moins atroce qu’autrefois mais oui… toujours difficile.

Où est-ce que vous intervenez exactement ?

R.McN : partout ! Dans une multitude de pays différents.

Les enfants sont différents de culture à culture ?

R.McN : absolument pas !

On est tous issus de la même humanité… Est-ce que vous pensez que ce que vous faites pourrait être effectif par d’autres moyens ? La peinture ? La sculpture ?

R.McN : je ne crois pas. La musique a quelque chose de particulier parce qu’on joue la même chose, ensemble. On ne peut pas peindre ensemble. A la rigueur on peut faire du théâtre ensemble…

Oui, chacun est une partie du tout.

R.McN : mais on ne joue pas la même chose. Chacun a un rôle particulier à tenir. A la rigueur ce qui pourrait s’en rapprocher c’est le foot.

Le foot !

R.McN : oui. On est une équipe. On doit se passer le ballon de la même manière que les musiciens se passent la parole. Et celui qui garde la balle pour lui n’est pas très bien vu non plus !

Il est individualiste. Il rompt la logique du groupe.

R.McN : tout à fait.

De ce point de vue la musique a donc quelque chose de particulier qui la distingue de tous les autres arts. Elle permet de faire émerger ce qu’on a en nous. Elle fait sortir ce qu’on a à dire. D’ailleurs, je ne sais plus quel musicien me disait : « j’ai choisi le violoncelle mais j’aurais pu faire de n’importe quel instrument. J’avais quelque chose à dire, une chose que je devais absolument exprimer… par n’importe quel moyen ».

V. N : je suis effectivement convaincue qu’elle fait parler ce qui est dans l’âme. C’est pour cela que je l’utilise dans mon travail.

Comment cela ?

V.N : par la musique on peut approcher les blocages d’une personne, la libérer. Je travaille avec des personnes handicapées, âgées, et les progrès sont parfois spectaculaires.

R.McN : mais il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que ces personnes qui ont des blocages à débloquer. Tout le monde en a.

Oui.

V.N : la musique est une langue qui permet de communiquer avec quelqu’un, d’opérer à une vraie rencontre.

Comment s’opère cette « rencontre dans votre métier » ?

V.N : j’utilise un thème la nature, je travaille à stimuler la mémoire.

R.McN : tu te souviens cette dame qui était aphasique depuis des années ?

V.N : oui, elle ne parlait pas. Je me suis mis à jouer de la musique « evocative » et tout à coup, quelqu’un s’est mis à réciter un poème et elle, elle a continué jusqu’à la fin. Elle n’avait pas parlé depuis des années et tout à coup, elle s’est mise à réciter tout un poème.

Elle s’est ouverte. Vous avez su trouver le chemin juste pour la toucher.

V.N : la musique permet cela, permet de s’exposer.

Elle est sur ce chemin de passage entre le monde intérieur et le monde tout court.

V.N : parfois elle touche tellement au fond de soi qu’on n’arrive pas à l’écouter, qu’elle provoque une souffrance.

R.McN : à ce moment-là elle exige peut-être de moi quelque chose que je ne suis pas capable de donner, une émotion que je ne peux pas éprouver.

C’est comme lorsqu’on travaille un morceau. Je trouve ça particulièrement frappant avec Bach. Parfois il écrit des choses tellement intimes qu’on est submergé et qu’on n’arrive pas à avancer.

V.N : chacun répond individuellement à la musique.

C’est comme ça que, lorsque je joue quelque chose, il y a à la fois 100% Bach et 100% moi. L’interprétation est l’expression des deux, de l’interprète par le texte et du texte par l’interprète. Je crois que je vais m’arrêter là pour aujourd’hui ! Merci beaucoup d’avoir accepté de me consacrer de votre précieux temps. J’ai été ravie de cet entretien avec vous et espère vous voir bientôt lors d’un concert !