Entretien avec Olivier Calmel

(22.05.2014, fait par Ellen Moysan à Paris, France)

http://www.oliviercalmel.com/

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Lorsqu’on est instrumentiste, la conception d’un chant intérieur se fait généralement à partir d’une partition. Ce qu’il y a de fascinant chez le compositeur c’est qu’il semble construire un chant intérieur à partir de rien. Il est facile d’imaginer comment l’on construit un tableau – on voit les couleurs, comment on écrit un roman – tout le monde sait parler, mais la musique est un univers qui échappe à tout le monde à part ceux qui la pratiquent. Comment êtes-vous arrivé dans cet univers, et qu’est-ce qui vous a poussé à commencer à composer.

Mon père était compositeur, j’étais donc déjà plongé dans un univers musical. Ensuite, j’ai naturellement commencé à écrire vers 11 ans, je n’avais pas de formation en écriture mais je composais déjà des choses de manière intuitive.

Vous avez donc écrit directement, sans en passer d’abord par l’instrument ?

J’avais déjà commencé l’étude du piano .J’ai appris l’harmonie tout seul en commençant à écrire avec la notation anglo-saxonne (les grilles d’accord). Finalement, même si je baignais dans un environnement musical je suis tout de même un autodidacte puisque j’ai eu un accès empirique à la musique.

Je comprends.  Cela dit, peut-être que le fait d’avoir un père compositeur vous avait aussi désinhibé par rapport à la difficulté d’écrire, c’était peut-être assez spontané chez vous, grâce à lui.

Peut-être oui. Je n’ai pourtant commencé l’écriture, l’étude de l’harmonie, du contrepoint, qu’à 15 ans.

C’est déjà assez jeune je trouve !

Pas tant que cela puisqu’on peut commencer beaucoup plus tôt.

Ah oui ? Je pensais que c’était une discipline que l’on abordait généralement plus tardivement. En quoi consiste-t-elle exactement ?

Lorsqu’on fait de l’écriture on apprend l’harmonie, le contrepoint, et on suit des cours sur la forme et le style[1].

C’est une discipline distincte de la composition ?

Oui, en composition on n’apprend pas les règles du passé comme en écriture, on cherche à développer son propre langage. En général on étudie aussi l’esthétique, l’analyse et l’harmonisation au clavier.

Il y a donc une discipline plus historique et une plus… créative peut-être. Mais quel est donc l’apport de l’écriture pour un compositeur ?

Elle permet de comprendre, a posteriori, c’est-à-dire en se penchant sur ce qui a été déjà fait, que certaines choses sonnent et d’autres moins. A mon avis, elle est indispensable dans la mesure où elle aide à se poser cette question : pourquoi ça sonne ?

Je comprends. A travers les différentes pratiques historiques, on apprend la technique de composition. Du coup, peut-on considérer que l’histoire a fait un tri entre ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas en se « souvenant » des belles choses et en oubliant les autres ?

On peut dire ça. Mais on n’étudie pas seulement l’écriture pour cela : il y a aussi une sorte de respect de l’histoire nécessaire au métier de compositeur dans le fait de chercher à connaître ce qu’elle transmet. On apprend ce qui fonctionne, pourquoi, puis on s’autonomise et grâce à ce qu’on sait on évite de partir dans des directions trop exploitées. Grâce aux connaissances qu’on acquiert, on peut décider en toute conscience d’utiliser certaines règles plutôt que d’autres. Ce qui est important à mes yeux est l’inspiration, bien évidemment, et aussi l’artisanat de qualité, doublé d’une grande conscience.

Finalement, c’est comme la recherche dans n’importe quel domaine. On ne pourrait jamais commencer une thèse en philosophie sans faire le catalogue de ce qui a déjà été fait sur le thème qui nous intéresse. Ce serait vraiment inconséquent. Maintenant que j’ai compris ce qu’était l’écriture en général, pourriez-vous m’expliquer en quoi consiste le contrepoint en particulier ?

A l’intérieur de ce qu’on appelle « écriture », les choses ne sont pas clôturées. Le contrepoint est l’art de la superposition organisée de lignes mélodiques distinctes. Le contrepoint est donc aussi lié à l’harmonie. Mais le contrepoint est déjà quelque chose de complexe. Il y a plusieurs types de contrepoints[2], le contrepoint renaissance, le contrepoint rigoureux etc.

Je comprends. C’est grâce à ce qu’on apprend en écriture que se nourrit la composition.

Oui. L’écriture donne accès aux paramètres multiples qui composent la composition. Elle permet d’avoir une connaissance du minimum requis. Encore une fois, personne ne se lancerait dans la composition en ignorant totalement ce qui a été fait auparavant. La difficulté est bien évidemment de conserver la fraicheur, la simplicité et l’immédiateté de l’inspiration.

En plus de cela j’imagine qu’il faut aussi une culture musicale liée à l’instrument pour lequel on compose.

Bien entendu. Là encore il y a une connaissance minimale qui fait partie du métier. Si je compose un concerto pour violoncelle, c’est tout à fait normal que j’aille écouter ce que je considère comme les dix plus grands concertos pour violoncelle et que je me plonge profondément dans l’étude de ses partitions.

Et vous devez aussi savoir comment l’instrument fonctionne pour que ce que vous écrivez soit « jouable », n’est-ce pas ?

Pour les concertos c’est évident, mais également pour les parties d’orchestre. Il est essentiel de savoir comment fonctionnent les instruments sinon ça n’a pas de sens.

Vous les connaissez donc tous relativement bien ?

Disons que je connais bien les cordes, les bois également, les cuivres un peu moins, les percussions ça va mais le champ des possibilités s’élargit de plus en plus donc c’est difficile de tout bien connaître. J’ai une connaissance poussée de l’instrumentation, même si il est impossible de tout savoir, tout appréhender, surtout si on ne joue que du piano.

Comment vous êtes-vous familiarisé avec eux ?

En écrivant, en cours d’orchestration, avec les instrumentistes eux-mêmes…, mais également en faisant des erreurs et en corrigeant après des premières lectures avec orchestre par exemple.

Si je comprends bien, la composition émerge à partir de tout un monde sonore qui se constitue lui-même par l’acquisition d’une technique léguée par l’histoire, une connaissance historique, une connaissance pratique… et une connaissance culturelle également, non ? Est-ce qu’il y a une œuvre qui vous marque particulièrement ?

Je crois qu’une des choses les plus fabuleuses que je connaisse se trouve dans le Requiem de Mozart, dans le « Confutatis » il y a un enchaînement d’une étonnante couleur harmonique dans le passage des voix d’hommes aux voix de femmes. Si je devais citer une œuvre qui m’a façonné en tant que musicien, en tant qu’être sensible, je pense pouvoir citer le requiem de Verdi, que j’ai beaucoup chanté étant jeune.

Oui, c’est vrai que ce passage semble très moderne. Il est magnifique.

Mozart a tout dit.  Chez lui c’est souvent la conduite des voix qui prime, ici l’enchaînement est vraiment particulièrement beau.

Il me touche aussi beaucoup. Mais à l’inverse, est-ce que cela veut dire que, si l’on réutilise cet enchaînement, ça va « marcher » systématiquement (un enchaînement entraînerait automatiquement une émotion) ? Cela voudrait dire qu’il suffit d’utiliser certains ingrédients pour provoquer telle ou telle réaction… ça paraît un peu facile !

Oui bien sûr. On ne peut pas être sûr que l’on va produire un effet, cela dépend de trop de paramètres. En revanche, grâce aux règles on sait ce qui ne marche pas. On ne compose bien évidemment pas en appliquant des règles, on s’en détache, je crois qu’on les connait, elles sont sous-jacentes, mais on les oublie afin d’être soi-même, libre.

Il vous arrive de corriger des œuvres sur la demande des musiciens, ou parce que cela ne convient pas une fois que c’est joué ?

Assez peu. Je crois la plupart des musiques que je compose ne sont pas retouchées une fois qu’elles sont données. Je ne fais pas tellement de travail avec les instrumentistes. Je leur fais relire, mais c’est tout. En revanche il y a parfois des versions ultérieures, des relectures.

Alors pour revenir à la question des règles et de leur transgression, cela signifie que l’on peut faire des « erreurs ». Je ne comprends pas tellement de quoi il s’agit. Qu’est-ce qu’une « erreur » de composition ?

Il y a de nombreux types d’erreurs. Cela dépend déjà du domaine que l’on considère, tout est question du contexte : erreur d’harmonie, erreur de contrepoint, d’orchestration …je peux citer les erreurs de jeunesses, et les erreurs qu’on fait lorsqu’on écrit quelque chose qui ne sonne pas bien tout simplement.

Quelles sont les « erreurs de jeunesse » par exemple ?

En orchestration par exemple ce sont principalement des problèmes d’équilibre. L’orchestration est l’art d’assigner des rôles à des groupes et à en gérer les équilibres. C’est à la fois très sensible et très technique.

C’est-à-dire ?

On a coutume de dire qu’un cuivre sonne comme deux vents, qu’un vent sonne autant qu’un groupe de cordes, que le timbre d’un hautbois ressort toujours dans l’orchestre etc. mais ce sont des généralités qui ne souffrent pas l’expérience et les très nombreuses exceptions Ensuite on affine suivant les registres et les timbres.

Ah d’accord. Qu’est-ce qui est important pour progresser ?

Il n’y a pas de secret, il faut écrire beaucoup. La quantité est vraiment importante.

Vous écrivez pour qui ?

Je travaille avec des commandes d’orchestres ou d’ensemble.

C’est peut-être naïf de demander ça mais comment entrez-vous en contact avec eux ?

On se connaît, c’est une question de réseau.

Je comprends. Cependant, j’imagine qu’on n’arrive pas à écrire pour des orchestres et des instrumentistes directement. Il faut arriver à un certain niveau. Si les instrumentistes se font beaucoup connaître par le biais des concours, est-ce qu’il en va de même pour les compositeurs ?

Oui, sans aucun doute. Il existe de nombreux concours, en Allemagne, en Espagne, un peu partout…. J’en ai très peu fait. Je trouve cela très subjectif aussi.

Subjectif ?

Oui, le principe du concours requiert une part importante de subjectivité. On se retrouve avec une dizaine d’excellents musiciens devant soi et on finit par choisir avec d’autres critères que des critères objectifs.

Oui c’est vrai. La compétition est vraiment forte, d’autant plus qu’elle est internationale. Après le choix se fait aussi en fonction de l’esthétique du candidat. Elle peut plaire ou non. Comment est-ce que se forme l’esthétique personnelle à votre avis ?

En se forgeant une culture. Il faut aller vers ce qu’on aime et être très ouvert à la découverte dans le même temps. Je n’ai aucun dogme esthétique. J’ai beaucoup de plaisir à écouter Goldman, qui fait partie intégrante de ma culture adolescente.

James Brown

ou Prince

qui font partie de ma culture post-adolescente, tout autant que Bartok

ou Dutilleux.

Il faut savoir s’émerveiller de mélodies évidentes, s’enivrer de beaux textes, autant qu’apprécier les couleurs incroyables d’orchestre que nous ont légués nos Maîtres.

C’est tout cela qui permet de former ce monde sonore intérieur.

C’est ce qu’on entend avec l’oreille interne.

Comment vous définiriez cette oreille interne ?

C’est ce qui permet de trouver la caractéristique de ce que l’on entend, le trait qui le rend unique, identifiable.

En quoi peut-elle être personnelle ?

Un accord qui fonctionne pour nous, qui nous est personnel, a une caractéristique rythmique, mélodique, une sonorité orchestrale qui nous est propre.

Comment est-ce qu’on le saisit ?

Il faut noter ce qu’on entend en étant sûr de pouvoir le reproduire. On note sur l’instant. On saisit l’inspiration au moment où elle vient.

Par quels moyens ? Quels procédés utilisez-vous ?

Eh bien j’écris sur papier, je peux aussi décrire par des mots, j’ai un dictaphone, parfois j’écris des parties de piano améliorées sur l’ordinateur.

Qu’est-ce que vous notez exactement ?

Le noyau de l’idée. Quelque chose comme un graphique, des courbes d’énergie, des formes dans leur globalité. Mais aussi le nombre de mouvements, leur durée, leur équilibre, les crescendo, decrescendo, tutti etc. et évidemment … des notes !

Ah d’accord. Et ensuite, une fois que c’est noté, comment ça se passe ?

Parfois, après-coup, on trouve ça sans intérêt. C’est d’ailleurs très frustrant de retravailler une idée et de se rendre compte qu’elle est mauvaise. Sinon il faut retrouver ce qu’on avait entendu d’intéressant et le développer.

Est-ce que l’inspiration compte beaucoup ?

En fait pas tant que cela. 5 % d’inspiration, 95 de transpiration ….. Mais si bien sûr elle compte beaucoup car elle est essentielle !

C’est tout ! Effectivement ce n’est pas tant que cela.

Oui bien sûr. L’idée à l’état brut n’est pas tellement intéressante. Il faut l’affiner par le travail, ne pas la laisser figée. Ainsi on la développe, et ensuite on la connecte avec d’autres.

A partir de quoi composez-vous ?

A partir d’un matériau thématique, de choses ciblées, qu’on exploite au maximum. Selon moi l’élégance artistique consiste dans l’exploitation d’un matériau condensé.

Finalement l’idée n’est pas si fondamentale au regard de tout le travail qu’il y a après.

Non. Tout le monde a des idées. Le vrai art c’est de savoir comment les exploiter.

Qu’est-ce qui est important pour cela ?

La capacité technique du développement, la capacité sensorielle qui lui donne corps, et la capacité de mise à nu.

Comment cela ?

Eh bien, même si on essaye parfois de se protéger, on écrit tout de même la musique qu’on est, celle qui nous anime. C’est important de savoir se mettre à nu à travers ce qu’on écrit.

Finalement la composition révèle à la fois une mécanique et une personnalité. C’est peut-être pour cela que, lorsqu’on a une oreille exercée, on est capable de reconnaître assez facilement tel ou tel compositeur, simplement en entendant quelques minutes d’un œuvre.

Bien sûr, il y a des enchaînements qui sont typiques d’un compositeur, c’est pour ça qu’on peut le reconnaître. Debussy met le même accord dans plusieurs œuvres par exemple. D’autres aussi. Cela dit, si ce sont de grands compositeurs c’est justement parce qu’ils ont aussi su s’extraire de ces systématismes.

Comment cela ?

Il faut à la fois susciter l’intérêt  et le renouveler en changeant de systématisme, en modulant ou en mutant.

Pourriez-vous me donner un exemple typique de ces systématismes ?

La marche harmonique en est un. Une marche harmonique bien réalisée fonctionne toujours, c’est toujours assez beau. Je peux l’utiliser mais ensuite la question est : quand et comment est-ce que j’en sors ?

Et donc ? A quel moment ?

Simplement… avant l’ennui !

Il faut en quelque sorte tenir l’auditoire par une bonne maîtrise du temps. Justement, le temps est une question fondamentale dans votre travail.  Qu’est-ce que vous pouvez en dire ?

Dans la composition il y a un rapport au temps qui est faussé.

Comment ça ?

On passe une journée à écrire des choses qui vont durer quelques secondes. Il y a donc une distorsion temporelle.

Je comprends. C’est peut-être là une des grosses différences avec l’improvisation. Vous avez également une formation de jazz il me semble, est-ce que cette pratique de l’improvisation vous aide dans votre métier de compositeur ?

Oui bien sûr. Je crois qu’on ne peut pas tellement être compositeur sans savoir improviser. Pour moi le cursus de jazz était fondamental. Je m’y suis mis, adolescent, un peu par rébellion par rapport à mon père. Ensuite je me suis aperçu que j’écrivais beaucoup, c’est-à-dire plus qu’une grille d’accord, et j’ai développé la composition en elle-même.

Quelle différence faites-vous entre ces deux pratiques ?

L’improvisation est quelque chose d’éphémère, une œuvre de l’instant. C’est une œuvre écrite à partir du moment où elle est jouée alors que le compositeur retravaille plusieurs fois son œuvre avant d’arriver à la version définitive. La composition est une improvisation retravaillée. On accepte de rendre son idée perfectible.

Je comprends.

Un maître de l’improvisation pour moi, c’est Keith Jarret.

C’est vrai qu’il est impressionnant, et puis il improvise pendant de très longues plages de temps. Je me demande toujours si c’est déjà organisé dans sa tête, si oui comment.

On ne peut pas trop savoir mais je pense qu’il a quelque chose qui est préparé en lui. C’est parfait au niveau de la forme. Il doit sans doute penser en avance à tous les grands développements.

Effectivement, s’il ne prépare pas, s’il ne sait pas où il va, je ne vois pas comment il peut diriger son improvisation.

Il y a nécessairement une direction. Au moins une idée de la durée, des grandes lignes et des développements. Ensuite il doit avoir comme des options, des portes qu’il choisit d’ouvrir ou de ne pas ouvrir, des chemins qu’il empreinte plutôt que d’autres.

Tout cela s’appuie sur l’écoute intérieure finalement.

Oui. Savoir entendre sans piano est une technique. C’est comme un labyrinthe. On choisit de prendre tel ou tel chemin. Pour moi c’est comme un terrain de jeu.

Comment cela ?

Je peux décider en toute conscience de la manière dont j’avance.

Qu’est-ce que cela veut dire « en toute conscience » ?

Cela signifie qu’il y a des règles mais dont on fait abstraction, qui font l’objet d’un dépassement, d’une sublimation.

Pouvez-vous me donner un exemple précis ?

Les quintes parallèles sont considérées en composition classique comme une erreur. Pourtant je peux décider de les utiliser, parce que dans ce que j’écris elles sonnent bien… en toute conscience. Mais il faut aussi un lâcher prise pour cela, une forme d’inconscience : Il faut oser !

Alors si je résume bien, lorsqu’on compose on utilise à la fois l’oreille interne et l’oreille externe. Quelle différence faites-vous entre les deux ?

L’oreille interne est sensible mais aussi très technique. C’est cette capacité d’entendre une ou plusieurs voix sans appui extérieur.

Combien pouvez-vous en entendre ?

Dans une période de stress et de multiples projets comme maintenant je n’entends pas grand-chose ! A tête reposée je peux entendre jusqu’à six voix indépendantes, suivant la complexité verticale (harmonique).

Et l’oreille externe, qu’est-ce que c’est ?

C’est celle qui s’appuie sur l’écoute d’un instrument, acoustique ou électronique. Avec un piano on n’entend pas pareil. Le rapport au temps est aussi différent parce qu’on joue en temps réel et qu’on a un bout à bout. Il y a donc une fluidité qu’il n’y a pas avec l’oreille interne.

En quoi cette temporalité est-elle différente de celle de l’oreille interne ?

A la table le rapport au temps est nécessairement faussé parce qu’on est détaché du son réel et du rendu temporel. Il y a donc nécessairement une distorsion.

Je comprends. Ensuite, pour que ces deux oreilles puissent fonctionner il faut bien qu’elles se rejoignent de quelque façon que ce soit. Est-ce que c’est la voix qui fait le lien ?

Oui, la voix intérieure je pense.

Comment est-elle formée ?

On entend les notes avec le son du dernier instrument entendu en général.

Est-ce que l’oreille absolue aide à avoir une écoute précise ?

Oui bien sûr. C’est une aide importante.

Comment fonctionne-t-elle ?

On entend les voyelles des notes (c’est pour cela qu’on peut confondre des notes qui ont la même voyelle comme le « fa » et le « la » par exemple). Ensuite, à côté il y a de nombreuses oreilles relatives qui se forment selon des paramètres différents.

Comment cela ?

Il y a plusieurs sortes d’oreilles relatives : l’oreille harmonique, l’oreille mélodique (qui permet de relever des solo en jazz par exemple), l’oreille des intervalles qui permet de reconnaître une sixte descendante par exemple, sans même savoir de quelles notes elle se compose), l’oreille fondée sur la couleur des accords (qui permet de distinguer un accord de dominante par exemple, encore une fois sans connaître les notes dont il est composé), celle sur le rythme, celle sur les couleurs simplement,  celle des timbres (reconnaître de quel instrument il s’agit).

C’est très riche en effet ! Bon. Je crois que j’ai épuisé mes questions pour aujourd’hui. Avant de vous quitter, puis-je vous poser une dernière question ? Puis-je vous demander quels sont les compositeurs que vous aimez particulièrement ?

Eh bien c’est simple, je vais prendre ceux dont les partitions sont sur le piano. Il y a Bernstein, Prokofiev, Dukas, Ligeti, Debussy, Ravel, Bartok, Bach, Honegger, Dutilleux, Stravinsky, Penderecki, Eiscaich, et tant d’autres…

Merci beaucoup de m’avoir transmis votre précieuse expérience


[1] Sur le site internet du CNSMDP (http://www.conservatoiredeparis.fr/disciplines/les-disciplines/les-disciplines-detail/discipline/ecriture/) on trouve la définition suivante : « l’apprentissage de l’écriture a pour objet la formation de l’oreille, la connaissance des styles et la maîtrise des différentes techniques de rhétorique musicale. Cinq classes sont proposées : harmonie, contrepoint, fugue et formes, Polyphonie XVe-XVIIe siècles, écriture XXe-XXIe siècles. »

[2] Pour une définition intéressante du contrepoint, on peut regarder cette vidéo de J.-F. Zygel http://www.dailymotion.com/video/x6uafx_zygel-contrepoint_music . « Le contrepoint c’est le fait de faire entendre à la fois plusieurs voix », « le grand spécialiste du contrepoint c’est J.-S. Bach », « notre oreille écoute la musique de façon horizontale, on écoute les deux voix qui se combinent », « harmonie c’est le contraire du contrepoint, c’est le fait d’enchaîner des accords ».