Entretien avec Nicolas Pfeiffer, Guitariste

(22.05. 2105, Fait par Ellen Moysan, à Chartres, France)

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[Album « YOUTH » disponible sur Qobuz et Itunes]

http://www.nicolaspfeiffer.net/

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Alors… je vais commencer notre discussion par te demander ce qu’évoque pour toi l’expression « chant intérieur ».

Je crois qu’elle pourrait évoquer deux choses différentes : entendre et ressentir. Dans le premier cas  l’expression fait référence à quelque chose qui ne passerait que par l’oreille, un travail des intervalles, le fait d’apprendre à entendre quelles sont les couleurs, les notes dissonantes : une technique musicale. Dans le deuxième cas elle souligne une dimension plus émotive qui se situe au niveau du ressenti corporel : l’effet que provoquent les notes lorsqu’on les joue, ce qu’on ressent en soi.

La première est ce qu’on peut apprendre au cours de notre formation tandis que la deuxième est plus du vécu.

Je dirais plus exactement que la première c’est mettre des mots sur des choses tandis que la deuxième c’est mettre des émotions sur des sons.

Je comprends. Et tu crois qu’il y a une dimension plus importante que l’autre ?

La deuxième je crois. On voit ça quand on débute et qu’on a assez peu de bagage : on peut passer à côté de la première mais être quand même hyper investi dans la musique parce qu’on éprouve du plaisir à entendre les notes résonner entre elles. L’aspect corporel, sensitif, me semble plus fondamental.

Mais si on peut ressentir ce qu’on fait sans entendre pour autant toutes les complexités techniques,  est-ce que tu penses qu’à l’inverse, on peut entendre des notes sans les ressentir ?

Oui bien sûr : on peut être un brillant instrumentiste sans ressentir vraiment la musique. Cependant, pour atteindre l’excellence, on a vraiment besoin des deux.

Pourquoi ? Qu’est-ce qui est si important dans la première dimension ?

Et bien si on veut sublimer une partition, d’autant plus si on n’en n’est pas l’auteur, il faut bien comprendre à quoi elle fait référence.

Ça permet d’être en empathie avec le texte.

C’est cela. Pour rentrer dans ce qu’on fait c’est important de maîtriser tous les aspects techniques de la partition, mais aussi son histoire c’est-à-dire ce que la musique raconte, son contexte etc.

Tu fais un travail historique quand tu travailles des standards de jazz ?

Pas beaucoup. Je pense que c’est surtout important dans le classique et j’en de manière irrégulière ces derniers temps.. Cela dit je connais quand même le contexte historique du jazz. Je crois que, de toute façon, si on manque de culture on risque de passer à côté du sens de l’histoire du morceau.

Donc pour comprendre l’histoire de la partition, au sens de narration, il faut connaître son histoire, au sens historique.

C’est cela.

C’est le moyen de rentrer vraiment à l’intérieur de la musique.

Oui. Cela dit, il faut modérer un peu ce que je dis : dans l’idéal c’est mieux de pouvoir tout entendre mais dans la pratique, surtout lorsqu’on est en groupe, c’est impossible de comprendre vraiment toutes les informations que l’on reçoit. On réagit, on n’analyse pas tout. Il faut donc compter sur son ressenti d’abord.

Sinon il n’y aurait pas de spontanéité de toute façon. 

Voilà.

Est-ce que tu pourrais donner un exemple de ces « informations complexes » dont tu parles ?

Alors chez Coltrane par exemple, tu as des plages modales compliquées à comprendre, les accords que Mccoy Tyner joue par exemple. C’est ce qui fait que sa musique est très organique. Ecoute My favorite things par exemple.

En fait c’est comme un magma sonore qui fait évoluer la couleur de départ en devenant de plus en plus complexe. Lorsqu’on entend cela on est bien obligé de ne pas tout analyser et de faire plutôt confiance à ce qu’on ressent.

C’est vrai que si on analysait, on ne serait plus spontané du tout en fait. Pour garder l’élan on est obligé de s’appuyer sur ce qu’il y a de plus immédiat. 

Oui. C’est mieux de saisir l’information et d’être capable de la décortiquer : plus tu es capable de digérer les informations, plus ta réaction est riche. Cependant, ce qui compte, c’est la réaction elle-même.

Je comprends. Comment tu as appris cela justement ?

Beaucoup de personnes débutant la guitare commencent par jouer du Blues.

Ah bon ? Pourquoi ?

Parce que le matériau est simple : on a une note racine autours de laquelle les mélodies se développent sur 12 mesures. L’improvisateur débutant commence par se familiariser avec  les gammes pentatoniques qui sont des gammes à 5 notes sans intervalles de ½ tons donc toutes les notes résonnent naturellement sur tous les accords de la grille harmonique du blues.

Qu’est-ce que ça change ?

Pour l’improvisateur débutant il n’y a pas d’endroits « touchy » de la gamme. Quelle que soit la note, elle pourra être entendue en résonnant avec la note racine. Puis on cherche  entendre les choses chromatiquement.

Et tu crois que ce « ressenti » qui permet de réagir est le même pour tout le monde ?

Non bien sûr ! C’est pour cela que c’est intéressant d’improviser : chacun exprime quelque chose de différent.

Pourtant, lorsque tu entends du blues tu deviens assez mélancolique… quelle que soit ta culture non ?

Oui c’est vrai. (mais je fais ici référence au blues en tant que structure harmonique)

Cela signifie donc qu’il y a une réaction standard qui va avec un certain type de musique.

Oui… mais la réaction est plus profonde que cet effet dont tu parles. Lorsqu’on joue, on établit un rapport intime entre chaque note de la gamme et la note racine. Cette manière de vivre les résonances est particulière à chacune, et elle donnera donc une réaction différente pour chacun…

… à condition que tu aies une assez bonne technique instrumentale pour être capable de rejouer le plus exactement possible ce que tu as envie de jouer.

Ça, ce dont tu parles, ça relève d’un apprentissage. Chacun se constitue progressivement un vocabulaire musical à partir duquel il va pouvoir ensuite improviser.

Comment tu pourrais définir l’improvisation ? 

J’aime bien ce que dit Thelonious Monk : « Improviser c’est rejouer des choses qu’on connaît déjà dans un ordre qu’on ne connaît pas ». Bien entendu, il parle ici d’une improvisation dans un cadre tonal, rythmique, auquel s’ajoute une trame mélodique improvisée qui vient épouser la trame harmonique.

Une structure classique donc.

Oui. Et qui remonte à Bach j’imagine. C’est peut être pour cela que tant de musiciens de jazz sont fascinés par l’étude de sa musique à un moment ou à un autre.

Ah bon, pourquoi ?

Pour la musique tonale il représente vraiment la perfection.

En quel sens ?

Les constructions de ses pièces sont sur une tonalité et ses emprunts avec des débits relativement réguliers, et des pièces pouvant être jouées pour tous les instruments. Les lignes mélodiques dessinées te font entendre les accords sous-jacents, on a donc l’idée des notes importantes sur les temps forts, ce qui permet de repérer les éléments harmoniques. C’est tout cela qui a fasciné Charlie Parker.

On l’entend clairement dans sa musique ?

Disons que ce type de construction est le postulat de base sur lequel Parker construit ses improvisations : jouer des lignes mélodiques qui font ressortir la trame harmonique.

Et le jazz a continué d’évoluer dans cette direction ?

Dans la mesure où la musique de Parker a été déterminante pour la suite du jazz, oui. Je dirais même que, encore à l’heure actuelle, quelqu’un qui joue du jazz ne peut pas s’affranchir de l’influence de ce postulat (jouer des lignes mélodiques qui font ressortir la trame harmonique ). Le cadre rythmique et l’architecture harmonique se sont complexifiées mais l’idée reste la même. Il n’y a qu’à penser à Logan Richardson.

Mais cela ne risque pas de devenir tellement complexe que c’est difficilement audible pour tout le monde ?

Justement, c’est un vrai sujet et cela m’a toujours questionné. Une des ironies réside peut être dans le fait que la plupart des personnes néophytes ne font pas la différence entre du free jazz et le jazz tel qu’il est pratiqué par de nombreux musiciens à l’heure actuelle alors que les 2 styles me semblent être philosophiquement aux antipodes dans leur rapport à la structure et au cadre en général. Mark Turner comme Wayne Shorter trouvent la liberté de leur discours au sein du cadre mais c’est souvent perçu comme de la musique totalement libre avec laquelle il n’y a pas de point d’accroche possible alors que celle ci est très codée.

J’ai parfois cru que certains de mes amis allaient se sentir mal à l’écoute du morceau « verson’s Odyssey » sur l’album « Dharma Days » de Mark Turner.

Ça me semble très différent pourtant !

A moi aussi. Le free jazz est vraiment porté par l’intention de s’affranchir totalement des cadres. C’est frappant dans la musique d’Ornette Coleman par exemple.

Finalement, au moment où le classique faisait table rase de l’harmonie et du cadre tonal, le jazz évoluait dans la même direction. 

Tout à fait. Le jazz a évolué vers quelque chose de totalement libertaire. Le problème c’est qu’en même temps, il a encore plus perdu contact avec son public.

Pourquoi « encore plus » ?

Parce qu’il y avait déjà eu une perte de popularité avec le Bebop.

Ah bon ?

Oui. Charlie Parker a commencé à développer sa propre musique : en un sens elle a permis de rompre avec le jazz que les musiciens blancs pouvaient copier, mais d’un autre côté, en perdant sa fonction dansante, le jazz a aussi vu décroître sa popularité.

Qu’est-ce qui faisait qu’on ne pouvait plus danser sur sa musique ?

Le tempo ne le permettait plus car souvent trop rapide. Les mélodies se sont également étoffées et ne se chantaient plus de la même manière qu’une chanson. En devenant plus complexe elle est devenue une musique savante, une musique à écouter.

Je comprends.

En fait tous les différents instruments du combo de jazz classique type 4tet, 5tet ou 6tet se sont libérés de leur seules fonctions pour élargir le spectre de leur possibilités et de leur vocabulaire. Ainsi le batteur n’était plus seulement un gardien du tempo mais il interagissait avec les accents rythmiques du soliste en plaçant des « kicks » sur la caisse claire mais également  la grosse caisse.

C’est devenu une conversation à plusieurs finalement.

C’est cela. Du coup on ne venait plus pour se divertir mais pour entendre une conversation.  Le jazz a vraiment changé de fonction.

En fait c’est juste devenu une musique savante, non ?

On peut dire ça oui. C’est sans doute devenu un vrai challenge pour les musiciens que d’apprendre à maîtriser ce vocabulaire comme l’avoua le tromboniste J.-J. Johnson.

Comment on faisait ?

Les gens allaient écouter, répétaient, jouaient beaucoup. Il n’y avait pas d’école pour apprendre, il fallait vraiment aller chercher les informations sur la structure spécifique à cette musique.

Comment cela ?

Lorsque mon 1er prof qui avait été jazzman à Paris dans les années 60 a appris la structure de l’ « anatole » par exemple (32 mesures, qui passent par les Ier, VIème, IIème et Vème degrés), il n’y avait marqué que les accords I et V sur ses partitions. C’était donc à lui d’entendre ce qu’il y avait exactement entre les deux et de comprendre la structure harmonique par l’oreille. Maintenant on peut obtenir très facilement toutes ces infos…

Et maintenant on travaille moins à l’oreille ?

On continue de travailler beaucoup par la répétition comme autrefois. C’est comme ça que j’ai appris d’ailleurs. J’ai débuté à 14 ans sans avoir jamais fait de musique avant, sans aucune technique, en m’appuyant seulement sur la dimension du ressenti dont je te parlais au début de la conversation. Lorsque j’ai commencé à faire ça sérieusement j’ai énormément travaillé en reprenant directement d’oreille à l’instrument.

Tu faisais ça comme un exercice ?

Oui, cela me permettait d’intégrer des éléments inconsciemment, mais aussi de relever spécifiquement certains types d’éléments pour les intégrer à mon jeu.

C’est très bon d’entraîner son oreille de toute façon.

Oui. Même si c’est un genre de technique assez décriée parce qu’on trouve plus facile de passer par son instrument que de relever à la table au diapason. Je trouve que ça a beaucoup d’avantages, notamment celui de donner un rapport très intuitif à l’instrument.

Oui bien sûr. Je l’ai fait aussi mais en reprenant des thèmes de trompette ou de saxo parce que c’est l’ambitus du violoncelle.

Alors dans ce cas tu vois comment on fait : on repère les phrases, on les répète en essayant d’être au plus près du placement rythmique, de l’accentuation, et on se constitue ainsi du vocabulaire en apprenant à parler comme la personne qu’on imite.  C’est ce qu’il y a de plus intuitif comme manière d’apprendre je trouve. C’est comme ça que beaucoup de choses se mettent en place.

C’est vrai. A un moment je me suis pas mal amusée à reprendre les solos de Dexter Gordon, justement parce qu’il est compliqué à comprendre au niveau du rythme. Ça m’a vraiment aidée à me sentir bien avec mon instrument.

Effectivement, Dexter Gordon est très intéressant au niveau du rythme parce qu’il joue vraiment derrière (on dit « laid back » en anglais). Il a vraiment un placement rythmique bien à lui.

A  quoi ça sert de jouer derrière ?

C’est une des recettes : la rythmique joue un peu devant ce qui donne la sensation que le morceau avance alors que le soliste lui joue un peu derrière le temps ce qui lui donnera un côté cool. On fait ça plutôt sur de la musique ternaire mais si tu écoutes « Blue Bossa » par exemple Dexter joue quand même derrière sur une rythmique latine.

En fait, si tu reprends son solo en apprenant à te placer derrière comme lui, tu vas apprendre à te placer aussi au centre du temps. On apprend vraiment beaucoup en calquant ce qu’on fait sur un autre musicien et en jouant en même temps que lui.

Est-ce que la voix compte aussi beaucoup dans ton travail ?

Oui. Quand j’éprouve du plaisir à jouer je me mets à chanter en même temps d’ailleurs. C’est un bon baromètre pour voir si ce que je fais me fait plaisir ou pas. Je trouve que le chant est aussi utile pour comprendre ce qu’on joue.

Comment tu l’utilises dans ton travail ?

Par exemple je prends un morceau et j’essaye de jouer les accords en me chantant intérieurement la mélodie en même temps. Ça me permet de l’entendre par-dessus les accords et donc d’avoir une écoute à la fois harmonique et mélodique. Je peux aussi faire des accords simples et essayer d’inventer une mélodie par-dessus.

En ce sens le chant a un rôle dans le processus de créativité.

C’est cela. Mais se chanter quelque chose intérieurement n’aide pas seulement à mieux jouer, ça aide aussi à respecter les silences. On ne peut pas jouer de manière ininterrompue. Les moments de pause dans la mélodie sont très importants. Être bien imprégné de la grille d’accord permet d’improviser mais aussi savoir laisser des silences.

Comment ça ?

Improviser c’est parler et se taire. Les deux. La difficulté est donc à la fois de savoir commencer quelque chose, mais aussi de savoir ne pas jouer.

Tu peux donner un exemple ?

Si tu prends un morceau de Coltrane qui est fondé sur un « coltrane change » (suites harmoniques par tierces mineures), ce qui est le plus difficile, c’est de savoir laisser le silence entre les phrases que tu joues comme sait le faire Ben van Gelder dans ses improvisations sur « Countdown ».

Pourquoi ?

Parce que ça n’arrête pas de moduler. L’harmonie change tous les deux temps. Dans ce cas précis le plus dur n’est pas de faire des phrases qui correspondent à l’harmonie mais plutôt de laisser de l’espace pour que les départs de phrases ne se fassent pas toujours au même endroit.

Je comprends. Avec la guitare tu travailles à la fois l’harmonie et la mélodie finalement.

Oui car c’est un instrument à la fois mélodique, harmonique, et même aussi percussif (avec la guitare flamenco par exemple).

C’est vraiment riche !

Oui mais ça a des avantages mais aussi des inconvénients : pour nous c’est difficile d’être aussi efficace mélodiquement qu’un sax, et harmoniquement qu’un piano.

Bien sûr. Et comme tu utilises une guitare électrique tu dois aussi gérer un type de son particulier.

Oui.

Est-ce que tu pourrais m’expliquer un peu comment ça fonctionne ?

Bien sûr ! Tu as l’ampli qui règle les basses et les aigus, puis pour ma part une première pédale qui s’occupe de la réverbération c’est-à-dire qui permet d’avoir plus ou moins de résonance, ensuite tu as un « booster » qui permet de donner plus de puissance à l’instrument quel que soit l’endroit où tu es, et le dernier est un « delay » qui gère l’écho et que l’on peut régler de manière progressive. Il prend selon la puissance de l’attaque : si on attaque fort on va en avoir beaucoup.

C’est cette guitare qu’on utilise dans la Bossa Nova ?

Non, c’est plutôt une guitare en nylon.

Et tu sais jouer de toutes les guitares ?

Oui mais elles ne requièrent pas exactement la même technique. En Tous cas c’est comme ça que je ressens l’instrument guitare : selon le type de guitare j’adapte ma technique et manière de jouer.

A quel niveau exactement ?

A la main droite par exemple. J’ai régulièrement oscillé entre un jeu avec les ongles de la main droite et le médiator..

Pourquoi tu as changé ?

Parce que j’ai trouvé qu’en groupe le son manquait un peu de puissance en jouant aux doigts.

Qu’est-ce qui change entre la technique avec ou sans médiator ?

On n’a pas la même son ni le même phrasé. Le médiator donne un poids et une puissance qu’on ne peut pas avoir avec le doigt je trouve. Il délivre aussi plus d’aigus. Cependant pour moi il y a un aspect plus polyphonique en jouant aux doigts.. Ca doit tenir dans le fait qu’on on a naturellement plusieurs notes sous les doigts de la main droite quand on joue.

Finalement la question du son ne se pose pas de la même manière pour des guitaristes classiques que pour des guitaristes jazz.

C’est vrai. Les évolutions de la lutherie de la guitare doivent être regardé à la lumière du facteur volume de l’instrument et non sur les critères de quel serait le meilleur son…

C’est donc cette nécessité qui a forcé l’instrument à évoluer.

Tout à fait. D’ailleurs, si la guitare n’avait pas évolué je crois qu’elle serait restée un instrument mineur et qu’elle n’aurait pas pris la place qu’elle a actuellement dans la musique.

Comment ça a évolué ?

En très schématique la guitare était montée de cordes en nylon puis on a eu l’idée d’utiliser des cordes en métal délivrant plus d’harmoniques aiguës et surtout plus de volume sonore en grattant les cordes. La jonction avec le corps de la guitare est passé de la 12eme  la 14ème case donnait un meilleur accès aux notes aiguës sur les guitares dites folk. A la même époque des guitares avec les ouïes en forme de F étaient inventée (ce sont les ancêtres des guitares dites jazz qui étaient utilisées par des guitaristes comme Freddie Green dans le Big Band de Count Basie). Plus ces guitares étaient grosses et plus elles délivraient de son au sein du big band. Leur fonction étaient uniquement de faire partie de la section rythmique et de jouer des accords en « Guide Tone ». Pour finir la transformation Charlie Christian eu l’idée de poser un micro captant à l’aide d’un aimant les vibrations des cordes (merci encore aux cordes en métal) et dès lors les guitaristes purent jouer en groupe des lignes mélodiques  la manière d’un saxophone. Pour parachever le tout Léo Fender eu cette idée incroyable de juste monter un manche sur une planche de bois avec des cordes et un micro et la première guitare de rock (la Broadcaster était née).. A l’époque on ne savait pas encore que ce serait une guitare de rock d’ailleurs..

Puis on a commencé à amplifier.

Comment fonctionne l’ampli sur ta guitare ?

Les micros sont des aimants qui captent la vibration. C’est très différent de l’amplification d’une guitare classique où l’on met un micro devant pour capter le son et le retransmettre plus fort comme on le ferait avec une voix.

Il y a donc vraiment un son à chercher par l’amplification.

Bien sûr. On dit parfois que la guitare électrique n’a pas d’âme mais à mon avis ce n’est pas vrai. Il y a vraiment un travail du son, une recherche de son.

Tu as donc ton son à toi, et si tu changes ton instrument on peut retrouver ton son.

Oui… mais à ce jour j’ai la sensation que ma voix passe par quand même par ma guitare à moi.

Comment tu expliques qu’on puisse retrouver le même son à travers des instruments différents ?

Je crois que cela relève de la capacité à être vraiment son « son », à sublimer son instrument par son « son », à traduire sa vie dans sa musique.

Et tu trouves que la guitare offre des possibilités particulières pour cela ?

Je ne sais pas mais il est vrai qu’on a la possibilité de modifier sa sonorité par différents réglages si on est un peu aventureux.. Le but étant de toujours avoir sa personnalité et sa patte malgré une sonorité distordue par exemple.

Est-ce que la guitare s’est vraiment fait une place dans les ensembles de jazz ?

Certainement oui. Il est sans doute l’un des instruments ayant gardé l’ancrage le plus populaire parmi les différents instruments. En ce sens il est intéressant. Je pense que la guitare a contribué naturellement  ouvrir la voie vers des formes de jazz à la croisée de chemin. Pat Metheny, John Scofield, Bill Friser ont amené ces cotés Folk, groove et presque country au jazz..Jim Hall ou Kurt Rosenwinkel ont ouvert la voie au jazz dans une ère moderne grâce  une sonorité plus mystérieuse et dark presque. Aujourd’hui j’entend un gros retour vers les aspects acoustiques et bois de l’instrument chez des musiciens tels Lage Lund ou Julian Lage.

Tu viens d’enregistrer un CD[1], est-ce que tu peux raconter un peu comment se déroule un enregistrement ?

Sur le dernier album j’avais sélectionné plusieurs compos (j’avais pas non plus un choix incroyable dans ce répertoire…)puis défini un scénario pour chaque morceau en avance pour éviter au maximum les répétitions (en ce sens ce n’est pas pareil que le live où on peut se permettre d’être plus spontané) ; puis on va faire en sorte de répartir les temps de parole des instruments sur tout le CD sans forcément les faire tous passer dans un morceau par exemple.

A quoi ça sert de faire cette répartition ?

On cherche à éviter la répétition de la structure entre chaque morceau au max. Encore une fois c’est ce que j’ai fait heureusement plein de musicien pensent que c’est stupide de faire ça et ils ont sans doute raison mais pendant la séance d’enregistrement ça me servait de boussole pour imaginer ce que serait le résultat final!

Et tu retravailles le morceau après la prise ?

Oui bien sûr. C’est d’ailleurs là que ça commence à être touchy.. On fait le mixage qui consiste à mettre les instruments au même volume, puis le mastering  et enfin on passe à la pochette et à la partie la plus complexe je trouve : faire vivre ton disque et ton groupe.. Pas forcément mon point fort d’ailleurs..

Et au cours de l’enregistrement, est-ce qu’on fait plusieurs prises et des coupes qui perfectionnent vraiment le morceau ?

On peut oui. En ce qui me concerne je ne fais pas de grosses modifications, je fais plutôt des petits edits souvent sur la guitare par exemple remonter une note qui est attaquée un peu de travers etc…

Merci beaucoup d’en avoir autant dit ! Je te souhaite bon courage dans ton travail et beaucoup  de concerts et d’enregistrements réussis comme « Youth » !

[1]

http://www.qobuz.com/fr-fr/album/youth-nicolas-pfeiffer/3614593663558