Entretien avec Martial Le Corre, sonneur de clarinette

(17.03. 2015, fait par Ellen Moysan, téléphone entre Chartres et Nantes, France)

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Auteur du livre « Les sonneurs bretons », aux éditions A. Sutton,

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La musique traditionnelle est profondément liée à un lieu mais ce n’est pas parce qu’on est breton qu’on assiste nécessairement à des fest-noz. Comment êtes-vous rentré en contact avec ce genre de musique ?

Je suis originaire de Plouray en Centre-bretagne, à l’âge de 8 ans je vais pour la première fois a un Pardon celui de l’Abbaye de Langonnet, mis à part le coté religieux, il y avait à cette fête des chants et des danses bretonnes en costumes, le renouveau de la culture bretonne avait commencé deux ans plus tôt à Poulaouen.

Il y avait au programme des chanteuses au tout début de leurs popularité :Eliane Pronost et les sœurs Goadec, pour la première fois j’entendais chanter en breton, j’ignorais que la langue bretonne pouvait faire danser les gens c’était pour moi une découverte.

Et vous avez appris le breton ?

Oui bien sûr ! dans mon village le breton était la langue principale, je fais parti de la dernière génération des enfants qui ont commencés leur scolarité à 7 ans avec toutes les difficultés à faire abstraction à notre langue maternelle !

Qu’est-ce qui vous a attiré dans les fest-noz ?

En 1970 j’ai intégré un cercle celtique parisien : Kelc’h Vreiz, et j’allais régulièrement au Fest-noz, par passion de la musique et de la danse.

Ce n’est donc pas seulement la musique mais aussi la langue qui vous a plu.

En fait mon engagement premier est la défense de ma culture, ensuite vient ma passion pour la musique traditionnelle.

Et ensuite ?

De 1970 à 1980 j’ai fait partie de deux cercles celtiques parisiens, en parallèle j’ai appris l’accordéon diatonique en 1977, j’ai découvert cet instrument au folk club Le Bourdon, que je fréquentais assidûment.

Vous avez appris en conservatoire ?

Non, en fait je ne lis pas la musique, je joue d’oreille.

Ah oui, c’est une toute autre approche de l’instrument. Lorsque j’ai rendu visite à une amie à Straznice en République Tchèque, à un moment les violonistes de son groupe traditionnel m’ont dit « vas-y, improvise », j’étais totalement incapable de jouer sans partition, et je ne savais pas non plus jouer par accords. Je pouvais reproduire la mélodie mais je n’avais pas le même rapport intuitif à l’instrument.

Moi j’ai appris en allant voir des  musiciens et en leur demandant des conseils.

Comment ça se passe quand on fait ça ?

On écoute d’abord les morceaux, on fait la sélection, on adapte ensuite  les chants à danser à la tessiture de la clarinette, il y a un gros travail de mémoire à effectuer.

Qu’est-ce qui rend une mélodie plus intéressante qu’une autre ?

L’implication du musicien à vouloir nous faire découvrir  une mélodie de son terroir, mélodie apprise par un voisin (ou une voisine) plus ou moins proche, il y mettra ses « tripes » et toute sa sensibilité dans son jeu , le son émis par la clarinette sera celui de son cœur.

Oui, je comprends. Et l’instrument en lui-même est-il différent en musique traditionnelle de celui qu’on utilise dans la musique classique par exemple ?

Oui bien sûr, le bec est différent. Il est plus puissant.

Comment cela ?

En musique classique on utilise un bec Vandoren type 5 RV avec des anches de 3, alors qu’en musique traditionnelle on utilise généralement un bec de type B 45 avec des anches de graduation 2,5.

Qu’est-ce que cela change ?

Avec un bec 5 RV accompagné de son anche de 3 le son est rond, peu puissant, avec le bec B 45 et son anche de 2,5 le son est puissant et offre beaucoup de possibilités pour marquer les temps forts et les temps faibles.

Les airs de danses bretonnes sont une succession de temps forts et faibles , avec beaucoup de « coup de langues » pour bien détacher les notes.

Il y a d’autres différences ?

Les clarinettes que nous utilisons sont souvent modernes, j’utilise une clarinette Selmer type Odyssée à 17 clés, avec toutes ces altérations il est possible de reproduire la voix humaine.

Je connais d’autres musiciens qui utilisent les anciennes 13 clés.

Le traditionnel a donc su tirer parti de la modernisation des instruments pour évoluer tout en restant lui-même.

Oui  et tant mieux…

Est-ce qu’il y a d’autres choses qui distinguent la clarinette moderne de la clarinette ancienne ?

La matière dont elles sont faites. Les clarinettes anciennes sont en bois de palissandre alors que les modernes sont en ébène.

Vous avez sûrement des manières de jouer différentes j’imagine…

Effectivement, en traditionnel on joue en général dans le medium, c’est-à-dire peu dans les graves, et peu dans les aigus. On bloque aussi la clef du 12ème c’est-à-dire que le pouce gauche bloque juste le trou.

Pourquoi ?

En utilisant cette méthode  il nous est possible de jouer avec une bombarde, ou tout instrument en si bémol.

Qu’est-ce que vous avez comme types de danses ?

Je joue principalement des airs à danser du Centre-bretagne : gavottes Fisel et de Spézet-Châteauneuf du Faou, la danse Plinn.

Ex. de danse Fisel (noter le temps 4/5)

Ex. de Gavotte de Châteauneuf du Faou (noter le pas chassé et la manière de se tenir les mains)

Pourriez-vous donner un peu de précisions sur ces danses ?

Toutes ces danses ont la particularité d’être des danses en chaines, aucune ne se ressemble, tant au point de vue style qu’au point de vue de la danse.

On doit vraiment passer un bon moment ! Mais alors ça veut dire qu’au moment où on interdisait de parler breton à l’école publique, l’identité bretonne se renforçait par d’autres moyens.

Tout à fait !

Et donc ces danses, en quoi consistent-elles ? Qu’est-ce qui les caractérise ? Lorsque je suis allée dans des fest-noz j’ai été très frappée des danses où l’on faisait voltiger les danseurs. Est-ce que c’est une des danses dont vous m’avez parlé ?

Ça doit être la gavotte  Pourlet . du terroir de Guémené sur Scorff, cette danse est très spectaculaire et très physique.

Et la tradition s’y maintient de manière uniquement orale ou aussi écrite ?

Les musiciens jouant dans un Bagad doivent savoir lire la musique, par contre les sonneurs par couple ne savent pas tous lire la musique.

Comment ça se passe un « collectage » ?

Ce n’est pas facile de faire du collectage, les relations avec les personnes collectés sont toutes différentes, il faut parfaitement connaître le thème du collectage, mettre en confiance la personne, en fait c’est beaucoup de « feeling » que du relationnel !!

Mais les anciens s’y prêtent facilement ?

Je pense oui. Bon il y a souvent des gens qui ne veulent pas donner leurs airs mais je ne pense pas que ça soit la majorité. L’esprit est assez collectif.

Pourquoi ils ne voudraient pas partager ? C’est un peu idiot car si le musicien meurt il y a tout un pan de culture qui s’éteint avec lui.

Oui bien sûr. Certains ne veulent pas car ils ont l’impression d’être dépouillés de quelque chose en partageant.

Est-ce que vous avez fait des collectages ?

Oui à partir de 1978 j’ai commencé à faire du collectage auprès des accordéonistes du Centre-Bretagne, j’ai toujours rencontré des personnes sympa, peut-être par ce que je m’intéressais à leur passion.

Comment ça se passait ?

A  chaque fois j’étais invité chez eux, au début de la rencontre  on parlait un peu de tout, et après  « on attaquait dans le bois dur ! »

… Est-ce que vous avez eu des cours avec des profs aussi ?

En 1977 j’ai appris l’accordéon diatonique par mon voisin Louis-Marie Caro, il m’initia au style des gavottes et de la danse Fisel, il était aussi un excellent chanteur, j’ai eu beaucoup de chance, il habitait à dix mètres de chez moi, on s’est connu pendant 20 ans !

Lorsque je me suis mis à la clarinette j’ai rencontré Hyacinthe Guégan  qui m’a appris le style si particulier de la clarinette en musique bretonne.

Hyacinthe Guégan a appris la clarinette en 1941 !

Individuellement ?

Oui. à chaque fois les cours étaient individuel.

Et donc la musique traditionnelle que l’on reçoit par transmission orale est liée à un musicien, mais plus exactement à un terroir si je comprends bien.

Tout à fait. Chacun joue la musique du terroir dont il est originaire, ou du terroir qu’il affectionne comme moi avec les gavottes de Châteauneuf du Faou.

Comment se partagent les terroirs ? Selon la langue ?

Oui, le terroir bretonnant est à l’ouest de la ligne Vannes-Saint-Brieuc , à l’est de cette ligne se trouve le pays Gallo.

Et comment la clarinette est arrivée dans le folklore breton ? Est-ce qu’elle en a toujours fait partie comme dans le folklore d’Europe centrale par exemple ?

Elle est arrivée autours de 1850/60 par l’harmonie municipale et militaire. En 1880-1930 il y avait 250 sonneurs de clarinette. A la même époque il y avait 750 bombardes/biniou koz (biniou traditionnel) pour vous donner une idée.

Effectivement c’est  le triple.

Parfois on dit que la clarinette n’est pas un instrument breton et qu’elle n’a donc rien à faire dans la musique bretonne. Au contraire, je trouve ça très important de la faire rentrer dans le folklore. Ce n’est pas parce qu’elle est relativement nouvelle qu’il faut l’exclure. Bien au contraire. Il y a une véritable richesse à exploiter en introduisant de nouveaux instruments.

Oui bien sûr. C’est important de continuer d’enrichir les folklores par d’autres influences. Il ne faut pas avoir peur du risque de « perdre son identité ».

C’est cela. Il y a des musiciens classiques qui se mettent à la musique traditionnelle. Je trouve cela aussi très bien.

Et pourtant ce n’est pas évident. Avec les violonistes tchèques je me suis sentie très handicapée ! D’ailleurs, dans le folklore d’Europe centrale on utilise beaucoup le violon mais en Bretagne j’en ai rarement entendu ; comment ça se fait ?

Les violons étaient plus souvent employés dans la musique gallo

Et quand est arrivée la première cornemuse ?

Elle a été introduite en Bretagne en 1907 par l’écrivain Charles Le Goffic, suite à son voyage en Ecosse avec le Barde Breton Taldir Jaffrenou, puis s’est répandue. En 1932 il n’y avait que cinq/six cornemuses en Bretagne.

Pourquoi les vents semblent plus utilisés que les autres instruments ?

Je pense qu’ils sont plus appropriés à la musique de danse , ces instruments étaient utilisés en plein-air et très puissant.

Par contre les instruments à cordes ont aussi leurs places notamment en mélodie, je pense au trio :

Yann-Fanch Kemener(chant) Aldo Ripoche( violoncelle baroque) et Damien Cotty (viole de gambe)

Vous jouez à quelle cadence en général ?

C’est plutôt rapide, une cadence de 152/4 à la noire.

Et vous jouez dans un ensemble ou en duo ?

Actuellement notre groupe se compose de quatre clarinettes.

Dans tous les cas ce qui compte c’est d’être vraiment très attentif à la danse si j’ai bien compris. Il y a donc une réelle interdépendance entre les musiciens et les danseurs : les danseurs dansent sur la musique mais la musique est elle-même réglée sur la danse.

C’est vrai. Les instrumentistes doivent en général savoir danser ce qui leur permet de mieux s’adapter. Ensuite ce sont  eux qui donnent le dynamisme aux danseurs. Quand il joue il doit regarder les pieds des danseurs pour maintenir le tempo.

Qu’est ce qui fait que les musiciens sont « bons » ?

C’est la question la plus difficile, Je pense qu’avant tout un musicien doit connaître les danses, respecter le style de la danse c’est essentiel, pour le tempo ce n’est pas trop important, certains jouent les gavottes à 145 d’autres à 154, par contre le tempo d’un rond de Loudéac doit obligatoirement être à 160.

Le musicien devra par sa façon de jouer donner de l’émotion aux danseurs, n’oublions pas  que les danses bretonnes principalement émotionnelles.

Oui je vois. Bon, je crois que je vais arrêter mes questions ici. Merci beaucoup pour votre témoignage précieux !

Merci à vous et longue vie à la clarinette, ou qu’elle soit !