Entretien avec Joachim Govin, Contrebassiste
(19.12.2015, fait par Ellen Moysan à Paris, France)

http://www.joachimgovin.com/live/
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Je suis super contente de te rencontrer, d’autant plus que tu es un bon ami de Camille Poupat et Nicolas Pfeiffer avec qui j’ai déjà eu deux rencontres passionnantes. Mais faisons comme si je ne te connaissais pas, dis-moi comment tu as commencé la musique.
J’ai commencé par la basse électrique puis je suis passé à la contrebasse lorsque j’ai découvert le jazz.
Tu es d’une famille de musiciens ?
Oui, mon père est musicien, saxophoniste. Grâce à lui j’ai développé mon oreille depuis que je suis petit en l’entendant jouer et travailler.
Et ensuite quelle a été ta formation entre cette écoute et ta pratique personnelle ?
Je suis passé par le conservatoire en jazz. J’ai notamment eu un vieux professeur qui avait 80 ans et avait accompagné tous les grands : Alphonse Masselier. Cela dit j’ai quand même surtout appris tout seul en jouant sur les disques.
Ah oui je fais ça aussi, c’est super bon pour l’oreille. Comment est-ce que tu fais ? Tu joues sur le CD ? Tu écoutes puis tu essayes de reproduire ce que tu entends ?
Un peu des deux. J’ai appris beaucoup de solos par cœur sans forcément le vouloir.
Des solos de contrebasse ?
Non pas forcément, de saxophone aussi. Cela m’a permis de développer un vocabulaire.
Tu apprenais des choses par cœur ?
Non c’est vraiment par plaisir, à force d’écouter des choses que j’adorais ça rentrait et je finissais par être capable de le refaire. Pour moi la musique passe vraiment par le plaisir. Je ne me suis jamais vraiment mis de contrainte.
Ah bon ?
Enfin si, lorsque j’ai commencé à bosser le « time », le tempo, je m’en suis mis un peu. Mais je prenais tout de même beaucoup de plaisir car je voyais les effets quasi immédiats à mon travail.
Comment ça ? Qu’est-ce que tu faisais ?
Je travaillais un exercice qui consistait à mettre le métronome systématiquement sur le quatrième temps de la mesure, à différents tempo (lent, vite etc.). Petit à petit j’ai vu que mon tempo était beaucoup plus solide et que j’étais beaucoup plus libre.
Parce que le métronome était lent ?
Oui, mais surtout parce qu’il était sur le quatrième temps et que je devais compléter le reste. Cet exercice me permettait de consolider le tempo intérieur.
Tu travaillais cela seul, ou sur des CD ?
Seul, en travaillant des morceaux.
Donc le temps est un élément essentiel de la constitution du vocabulaire musical ; le vocabulaire est constitué de phrases avec des rythmes, et pas seulement de couleurs de son, d’accords etc.
Je crois qu’il y a deux choses différentes : le temps d’un côté, et l’harmonie de l’autre. Ils sont ensuite liés bien sûr.
Comment travailles-tu l’aspect temporel ?
On travaille beaucoup la notion de « temps fort »/ « temps faible ». J’aime beaucoup un contrebassiste qui s’appelle Ben Street et qui joue énormément, lorsqu’il improvise, sur le décalage des barres de mesure, décalage des temps forts et des temps faibles.
Qu’est ce qui est intéressant dans sa manière de faire ?
Disons que, de même qu’il y a ce qu’on appelle un « trompe l’œil », c’est un peu comme un « trompe-l’oreille », ça donne l’impression d’être en retard. En fait selon les bassistes il y a différentes approches du temps, notamment dans les « walking bass ». Si tu prends trois bassistes comme Larry Grenadier
Christian McBride
ou Charlie Haden
chacun a une manière totalement différente de gérer le temps.
Comment cela ?
Le premier joue vraiment sur le temps, le deuxième joue un peu devant pour donner l’impression de pousser la rythmique, le troisième joue un peu derrière pour donner une impression plus relax.
Je comprends. La manière de gérer le temps participe donc de l’effet musical. Dans un ensemble de jazz est-ce qu’on peut dire que le contrebassiste assure la stabilité temporelle plus que les autres musiciens ?
C’est vrai que c’est un pilier.
Pourtant la contrebasse est un instrument moins sonore auquel on peut parfois prêter moins d’attention ; le saxophone ou le piano semblent plus sur le devant de la scène.
L’équilibre des sonorités est quelque chose qui se travaille ensemble, ce n’est pas seulement dû à la sonorité naturelle des instruments. Si on s’écoute chacun a sa place. C’est vrai que le sax peut être plus sonore. Tout dépend du musicien : il y a des saxophonistes avec qui c’est agréable de jouer parce qu’ils écoutent les autres, et d’autres moins parce qu’ils ont les oreilles fermées et jouent un peu tout seuls. Normalement on cherche à s’adapter les uns aux autres.
En plus les trois quarts du temps vous jouez en pizz., non ?
En jazz oui.
Comment se travaille le son dans ce cas-là ?
Je crois que j’ai pas mal travaillé le son lorsque j’ai fait du classique et que je travaillais à l’archet. Cela m’a fait progresser, au niveau de la justesse par exemple.
C’est amusant ce que tu dis car ma prof de violoncelle m’avait au contraire recommandé de travailler la justesse en pizz. car le son est plus clair quand c’est juste, et qu’on entend tout de suite si c’est bon ou pas.
Oui, c’est sûrement une autre manière. Après je travaille avec des cordes en boyau donc il y a beaucoup d’harmoniques, le son n’est pas très précis, et ce n’est pas très facile d’entendre le pitch.
Il faut trouver une autre manière de faire alors.
Oui. Personnellement je travaille beaucoup devant la glace.
Ah bon ? Qu’est-ce que ça t’apporte ?
J’essaie d’être le plus détendu possible, de reproduire la main droite des contrebassistes que j’aime bien.
Comment tu travailles ?
Je m’exerce souvent juste sur une note, en jouant la note et en relâchant tout de suite le poignet. J’essaie d’avoir un son large et puissant mais sans cogner, de jouer piano mais avec un son ample, comme Charlie Haden par exemple.
C’est très intéressant, cela signifie qu’il y a vraiment un lien entre la posture de ta main, le mouvement et la qualité du son après ; si tu copies la main du contrebassiste ton son sera plus proche de son son.
Oui.
Et en ce qui concerne la main droite, tu utilises un ou deux doigts ?
J’utilise de plus en plus souvent seulement l’index, ou le majeur, mais parfois aussi les deux ensemble.
Qu’est-ce que ça change ?
Un seul en bloquant tous les autres va donner une attaque et un placement très précis ; avec les deux doigts collés le son est un peu plus feutré ; et, finalement, en utilisant alternativement l’index et le majeur, on a une dextérité accrue, il est plus facile d’articuler, de phraser, notamment pour les solos.
Je trouve que le travail au pizz. est très intéressant parce qu’il donne le son brut et qu’on entend tout de suite s’il est de bonne qualité ou non. La résonnance est immédiatement apparente. Est-ce que tu travailles majoritairement en corde à vide ?
Pour m’échauffer je commence souvent par les cordes à vide et puis je passe à autre chose.
Tu as une méthode de travail particulière ?
Non, pas spécialement. Ça change pas mal. Parfois je travaille beaucoup au métronome pour le time, à d’autres moments je travaille des thèmes bebop de musiciens que j’aime bien, Charlie Parker, Bud Powell, par exemple, que j’apprends à l’oreille.
Tu utilises plutôt l’oreille mélodique ou harmonique ? A la contrebasse on fait rarement des accords, si ?
Un peu les deux. Si, tu peux faire des accords aussi. Mais je ne travaille pas vraiment l’accord, je l’arpégie plutôt. Si je joue des accords, je joue des dixièmes, des quartes, des quintes…
Tu utilises beaucoup la voix pour t’aider à travailler ?
Pas tellement.
Alors comment se forme ce son intérieur que tu vas exprimer lorsque tu joues ?
Je m’inspire beaucoup d’autres instruments : beaucoup de saxophonistes, et moins de bassistes.
Et sur quoi tu t’appuies lorsque tu improvises en ensemble ?
J’utilise beaucoup ce que font les autres : j’essaye de reproduire mélodiquement ce que fait le pianiste, ou rythmiquement ce que fait le batteur. Surtout si ce sont des gens avec qui j’aime bien jouer. Ensuite, en fonction du point de départ de mon solo je me lance dans une idée que je développe.
Comment cela ?
J’écoute beaucoup le saxophone.
Pourquoi le saxophone a une telle importance pour toi ?
C’est sûrement très lié au fait que mon père soit saxophoniste. La première fois que j’ai été frappé par quelque chose musicalement, c’était avec mon père. Ça ne m’a jamais lâché. Ensuite c’est peut-être lié au fait que je joue beaucoup avec Logan Richardson qui est à Paris maintenant,
et que j’ai enregistré mon premier disque avec Ben van Gelder qui est aussi saxophoniste alto
Sur quoi est-ce que tu t’appuies d’autres sinon ?
J’aime visualiser des déplacements, je réagis sur des intervalles que j’entends, j’aime bien jouer sur les cordes en boyaux, elles produisent un son particulier.
L’aspect physique et tactile de l’instrument compte beaucoup dans la liberté de ce que tu joues en fait.
Oui, mais c’est aussi l’instrument qui veut cela : la contrebasse est de toute façon un instrument très physique, c’est un défi de ne pas être aliéné par l’instrument.
Oui.
La première fois que j’ai vu Ben Street jouer ça m’a fait un espèce de déclic : il n’était pas aliéné par le côté physique de la contrebasse. Ben joue avec ça, ce n’est pas un virtuose, il fait plutôt des effets, des choses qu’il ressent profondément et qui sont plus liées aux placements rythmique, pas forcément des phrases musicales mais plutôt des événements sonores. Il a une manière de placer ses doigts, son corps par rapport à l’instrument qui est totalement nouvelle et différente de ce qui se faisait dans les années 80, lorsqu’on jouait avec les cordes très près du manche, très vite.
Il joue avec des cordes élevées ? Pourtant ça complique l’attaque il me semble…
Relativement hautes oui. Il a une virtuosité qui n’est pas tant instrumentale que musicale.
Je suis très impressionnée par la virtuosité des contrebassistes… Lorsque j’ai essayé celle de Nicolas[1] ça m’a semblé tellement imposant, demander tellement de force physique…
En fait d’abord on n’accélère souvent que sur une corde et tout le reste est horizontal, la plupart des déplacements verticaux se font sur la corde de sol, la plus aigüe.
Comment ça se travaille ?
On travaille les gammes verticalement sur la corde de sol et avec le temps on apprend à partir du sol harmonique à développer les placements en utilisant les cinq doigts.
Donc en première position tu n’utilises jamais quatre doigts ?
Non, seulement trois.
L’écart est trop grand en fait.
Oui.
Donc pour toi le chant intérieur est vraiment quelque chose de lié au corps, d’incarné. Ce n’est pas l’expression physique d’une chose que tu as dans ta tête.
Oui. En tout cas c’est quelque chose que je recherche. J’essaye de jouer ce que je ressens physiquement. Parfois je joue aussi des phrases « bebop » que j’entends, dans ce cas c’est mon oreille intérieure qui compte. Mais c’est vrai que le corps est très important. Lorsque j’ai des douleurs, et ça arrive parce que la contrebasse est un instrument très physique, j’essaye de me recentrer sur les sensations corporelles, de jouer le plus relax possible.
Comment prépares-tu l’improvisation ? C’est quelque chose qui se fait dans l’instantané ?
Oui et non. J’utilise du vocabulaire que j’ai appris chez moi. J’aime bien improviser sur une grille. Il y a des morceaux sur lesquels je travaille beaucoup comme « All the things you are ». C’est un morceau qui m’obsède depuis longtemps.
Ce sont ces thèmes que tu réutilises ailleurs par exemple ?
Oui j’aime bien faire des citations.
Tu écoutes aussi du classique ?
J’en ai beaucoup écouté mais maintenant moins. Je reviens toujours à Parker, Coltrane, des musiciens comme ça.
Et tu penses que le vocabulaire se constitue aussi lorsque tu ne travailles pas ?
Peut-être… quand tu prêtes attention à certains rythmes dans ton environnement.
Je pense que, paradoxalement, on n’a pas forcément besoin de faire des exercices à l’instrument pour progresser à l’instrument.
C’est assez vrai. Peu de temps après avoir commencé la contrebasse j’ai eu une sorte de tendinite et j’ai dû arrêter un an la musique. Je pense que j’ai fait progresser mon oreille parce que je chantais en permanence dans ma tête. Soit des choses que je relevais, soit que j’improvisais. J’écoutais énormément de musique. Je me chantais des gammes. En fait je pense que c’est là où le travail se fait le plus. L’instrument est un vecteur qui permet de transmettre ça. On choisit son instrument en fonction de sa personnalité mais potentiellement on est tous chanteurs.
Donc le vocabulaire se constitue par le chant.
Oui je trouve. Il y a pas mal de solos que j’ai tellement écoutés, de Chet Baker ou Ben van Gelder par exemple, que je peux jouer avec le disque en temps réel, au piano ou à la basse. Je l’ai tellement dans l’oreille que ça vient tout seul.
Ces influences viennent enrichir ton propre monde à toi.
Oui. Ça permet d’utiliser le vocabulaire sans faire des copier-coller, refaire des phrases que l’on connaît l’une après l’autre, un peu mécaniquement, sur telle séquence harmoniques, se laisser aller, commencer une phrase en la tirant au maximum, savoir exactement où l’on est.
Oui.
Maintenant j’essaye aussi d’expérimenter des choses à la manière de Harish Raghavan, qui tire beaucoup les cordes, a un jeu très « chargé », lâche prise, mais sait tout le temps où il est, dans la musique.
Cette manière de sortir du cadre est quelque chose que j’essaye de développer. C’est un travail d’oreille, entendre le cadre en soi-même pour en libérer le corps, puis y revenir. Faire des aller et retour hors et dans le cadre.
C’est un travail de perception ?
Oui.
C’est cela qui permet de faire quelque chose de vraiment personnel ?
Oui et puis c’est la culture musicale de chacun qui joue aussi je pense.
Mais ce n’est pas parce que tu es très cultivé que tu es capable d’inventer n’est-ce pas ?
Non. Le fait d’être capable de lâcher prise est important. Charlie Parker disait que lorsqu’on montait sur scène il fallait oublier tout ce qu’on avait travaillé avant. Il y a aussi une citation un peu parallèle de Lee Konitz qui dit : « C’est ma manière de me préparer – ne pas être préparé. Et ça demande beaucoup de préparation ! » [2].
Beaucoup de musiciens le disent oui. La scène et le travail personnel ce sont deux choses bien différentes finalement.
C’est vrai. Après il y a des choses que je fais tout seul et que je ne suis pas capable de refaire sur scène (mais ce n’est pas forcément très intéressant donc ce n’est pas si grave), alors que sur scène devant des gens c’est vraiment un moment où j’arrive à m’oublier. Il y a un rapport avec le public qui est vraiment grisant, une écoute, un partage avec les musiciens et avec le public où l’on peut se permettre d’improviser vraiment. Je m’enregistre souvent avec un zoom pendant les concerts et je suis souvent surpris de ce qui se passe car l’alchimie qu’il y a avec les autres musiciens et le public donne un autre enjeu qui est différent de la répétition, des sessions.
C’est quoi l’enjeu particulier des sessions alors ?
Elles permettent d’expérimenter, de rencontrer des musiciens, de tester des compositions, sans qu’il y ait d’enjeu donc on peut s’autoriser plein de choses parce qu’on est en confiance. La scène est quelque chose de totalement unique.
Le lien avec les autres musiciens influe beaucoup sur la qualité de ce que tu produits ?
Oui je pense. Après on a besoin d’être en confiance musicalement mais on peut aussi produire de très belles choses avec des gens que l’on ne connaît pas si bien, ou avec qui on n’a pas une relation exceptionnelle. Ensuite je trouve que jouer avec quelqu’un qu’on respecte énormément fait beaucoup progresser. J’ai pas mal travaillé avec Logan Richardson et je dois dire que ça me tire vraiment vers le haut, que j’ai fait beaucoup de progrès avec lui.
Il donne de la force, et comme il a son monde à lui il t’entraîne avec lui ?
Oui. Et puis il est extrêmement humble, pas du tout dans le jugement.
Vous jouez où ?
Cela dépend, mais souvent dans une salle que j’aime vraiment, au Bab-Ilo à Paris[3].
C’est l’acoustique qui est intéressante ?
Il y a un truc. Cette salle est bien pour la contrebasse car le son reste naturel et que l’on n’a pas tellement besoin de l’amplifier, c’est assez flatteur en grave, et la basse est tout le temps audible. Il n’y a pas trop de « parasites » acoustiques.
Je comprends. Et est-ce que jouer régulièrement quelque part est très différent des tournées ?
Oui bien sûr. En tournée tu joues devant des gens que tu ne reverras peut-être jamais de ta vie. Durant la tournée que j’ai faite en Estonie récemment, je n’avais pas mon instrument par exemple. Je jouais sur un instrument que l’on me prêtait sur place. Du coup j’étais totalement relâché, j’ai vraiment expérimenté de nouvelles choses. Tout était nouveau donc j’ai joué librement. C’est quelque chose d’unique dans les tournées.
Et tu trouves que le public influe aussi ?
Pas tellement. J’ai peut-être ressenti cela au Japon. J’y suis allé et je ne savais pas trop déchiffrer les réactions du public. C’était un peu déroutant.
Et tu as aussi joué aux USA ?
J’y ai été mais je n’ai pas joué là-bas.
Tu penses que chaque pays produit un type de jazz différent ? Qu’il y a un jazz français, un jazz américain.
Assez oui. Le jazz français semble « plus intériorisé » par exemple. Après les frontières ne sont pas si rigides car il y a un courant « jazz new-yorkais » à Paris. Le niveau aux USA est très bon.
Pourquoi ?
Il y a une bonne culture du groove, c’est-à-dire de la danse intérieure, une manière de sentir le rythme.
Par contre, à Paris, on a la chance d’avoir des musiciens d’origine africaine comme Paco Séry
ou Richard Bona
antillaise, ou maghrébine, qui viennent enrichir notre approche.
Qu’est ce que cela apporte de spécial à ton avis ?
Et bien par exemple je viens d’enregistrer avec Arnaud Dolmen, d’origine guadeloupéenne, et quand on a eu fini la première prise du premier morceau, le premier jour, il a dit « tant qu’on peut danser dessus c’est bon ». Cela m’a mis très à l’aise pour le reste de la séance. Ce genre d’approche est un peu ce qui me manque parfois. Les jazzmen américains sont beaucoup plus ouverts me semble t-il. Ils ont plus d’influences. Le hip-hop par exemple.
Du coup la musique est plus sentie ?
Peut-être oui. On est peut-être plus « cérébraux » en France.
On analyse plus ce qu’on fait en France ?
Oui. Quelqu’un comme Coltrane avait vraiment une approche qui vient des tripes, organique.
Je pense aussi que dans la culture américaine on encourage vraiment, même s’il faut faire des erreurs.
Oui. J’ai mis du temps à enlever les insécurités. C’est quelque chose que j’ai vraiment appris petit à petit. C’est seulement depuis peu de temps que la scène me booste plus qu’elle ne m’impressionne. Il y a eu une période où elle me bloquait totalement.
Et le CD c’est encore une autre expérience.
Oui. Le premier cd que j’ai fait était un peu à l’ancienne, c’est-à-dire avec une seule répétition de deux heures la veille de l’enregistrement, deux jours de studio, et puis c’était surtout basé sur le choix du répertoire. J’ai composé trois morceaux pour l’album et le reste est un choix de morceaux que j’aimais bien : deux morceaux de Tony Tixier, un morceau de Ben van Gelder, et des standards. C’étaient beaucoup de premières prises, peu d’edit, un peu dans l’esprit de ce qui se faisait dans les années 50. Les albums de Coltrane, Hank Mobley ou autres dans les années 50, ils choisissaient cinq ou six standards, réunissaient une équipe et enregistraient. Aujourd’hui nous appelons ça des « sessions », il n’y a pas de micro, pas de producteur, ni de public 🙂
Ça devrait être comme ça non ? Il n’y a pas de raison de reprendre trop puisque ce qui compte c’est l’improvisation non ?
Oui mais c’est quelque chose à l’ancienne. En ce moment ce qui plaît c’est de faire des albums avec un concept.
Comment ça ?
Un hommage à un musicien, un thème, que des compositions…
On est dépendant du marché et il faut faire des trucs vendeurs quoi.
Oui.
Bon, et bien je pense que nous avons bien exploré la question. Un très grand merci d’avoir pris du temps pour discuter, je te souhaite plein de nouveaux projets intéressants et de venir bientôt nous visiter aux USA !
—
[1] Nicolas Pfeiffer, guitariste, cf. entretien
[2] « That’s my way of preparation–to not be prepared. And that takes a lot of preparation! »