Entretien avec Frédéric Borsarello, Violoncelliste

(17.11.2010, fait par Ellen Moysan à Paris, France)

Né à Toulon
1er prix CNSM Paris de violoncelle (Maurice Gendron) et de musique de Chambre.
1er prix du Concours International de Naples.
Médaille d’honneur de la ville de Pékin.
2006 Médaille d’honneur de la Ville de Paris.
Elève de Tortelier à Hochschule d’Essen (Allemagne), Musique de Chambre à Cologne,
Quatuor Amadeus.
10 ans violoncelliste dans le quatuor Razumowsky
Professeur au CNR de Versailles pendant 11 ans.
Professeur au Conservatoire de Paris (XIe)
Violoncelliste solo de l’Orchestre de Chambre de Versailles
Membre de la SACEM.
Membre du trio Thalberg.
Auteur d’une trentaine de pièces pour violoncelle et arrangements pour Ensemble de
violoncelles
Violoncelliste dans le Trio Borsarello
Fondateur du Quatuor de violoncelles Paris-Celli.
Régulièrement membre de jury invité aux CNSM de Paris et Lyon

Edité par Delrieu, Combre et Sempre Più

http://frederic.borsarello.pagesperso-orange.fr/

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Outre votre formation de violoncelliste concertiste, notamment dans le trio familial, vous êtes professeur dans le réseau des conservatoires de la ville de PARIS le XIe en  particulier, Vous avez différents profils d’élèves mais j’imagine qu’il y a des constantes dans l’apprentissage. Quel est le parcours global par lequel tout élève passe généralement ? Combien de temps faut-il pour avoir une base solide ?

Il faut à peut près cinq ans pour acquérir une structure technique. Lors des deux ou trois premières années, il est nécessaire que quelqu’un assiste au cours et ensuite aide l’élève à travailler correctement à la maison. Puis dans la troisième, quatrième année, il y a un élan propre de l’élève. On devient indépendant à peu près dans la cinquième année.

Comment est-ce que vous conseillez de travailler à la maison ?

Le travail est le même pour quelqu’un qui joue pour son plaisir et pour celui qui veut professionnaliser sa pratique musicale.  Seule la volonté du violoncelliste fait qu’il s’investira plus pour devenir un professionnel. Cependant, il faudra toujours faire un quart-heure de cordes à vides, puis une demi-heure de gammes (de toute sorte, tierces, sixtes etc.), puis des exercices tels que des études visant à faire travailler les points de difficultés propre à chaque élève, et enfin, la pièce du répertoire .

Une pièce ça veut dire un Concerto, une sonate etc. ?

Oui, mais le Concerto est quelque chose qui pose problème. En principe, il faudrait le jouer dans une salle, avec un orchestre. Il requiert une certaine puissance dont on n’a pas idée lorsqu’on travaille tout seul chez soi, ou que l’on joue une petite pièce, dans une petite pièce…

Il faut apprendre à gérer la puissance de son instrument alors.

Exactement. Plus on est près du chevalet, plus on doit « donner », plus on est près de la touche, plus le son sort facilement. La touche devient almors le cahe misére de ceux qui n’ont pas travailler et ne veulent pas prendre trop de risques…Car on se dévoile en allant à deux cm du chevalet…

Ensuite, l’archet posé sur la corde est comme l’exemple de l’abscisse et l’ordonnée en mathématique : la rencontre de la pression et de l’allongement. Ce qui tue le son est l’allongement excessif et sans pression, c’est-à-dire que plus on allonge l’archet, plus le son risque d’être savonneux. Au contraire, donner trop de pression risque d’écraser le son, et celui-ci manquera de vitesse.  Ensuite viennent les questions plus techniques de l’emplacement de l’archet sur la corde, de l’inclinaison des crins etc

Mais ce genre de choses est vraiment à la base du jeu du violoncelliste, si jamais on ne l’a pas bien acquis, pensez-vous qu’il soit possible de faire réapprendre tout ?

Pour le professeur il ne s’agit pas de tout «  recommencer à zéro » ( la seule expression détruit le musicien, alors que le pédagogue est là pour l’aider à se construire) mais plutôt de reprendre l’élève. Il faut partir de l’idée qu’on doit le défendre, le valoriser et s’appuyer non pas sur ce qui ne va pas pour l’éliminer, mais sur ce qui est positif et que l’on va valoriser et développer. Lorsque ma sainte et économe grand-mère ratait sa mayonnaise, elle ne la jetait pas, mais en refaisait une autre et réintroduisait  l’ancienne à la nouvelle.

Est-ce que le fait de vivre dans une famille de musicien peut éviter ce genre d’erreurs de parcours, est-ce que cela donne à l’élève plus de spontanéité avec son instrument ?

Oui, très certainement, le fait d’être habitué à un milieu musical rend sûrement plus à l’aise. Mais d’une façon générale, les parents  devraient être plus attentifs aux professeurs de leurs enfants. Cependant, je ne donnerais pas à cela trop d’importance. De toute façon nous apprenons tous à jouer avec « nos infirmités » disait  Maurice Gendron. Untel aura des mains trop étroites, tel autre des doigts trop courts, un tel des bras trop longs qui l’encombreront pour jouer, tel autre des bras courts qui l’obligeront à « embrasser » son instrument au sens propre du terme.

C’est comme une feinte alors ?

Oui, on doit jouer avec notre morphologie et la technique n’est donc pas la même pour tout le monde, bien qu’il y ait une base commune. La technique et donc le choix des doigtés deviennent  alors une affaire personnelle

Le musicien est ensuite appelé à sortir de lui-même et de son environnement familier. Quelles seraient les étapes de « sortie de soi », de mise à l’épreuve ?

Il y a à mon sens plusieurs degré progressifs. D’abord celui de jouer devant sa famille (public plus ou moins favorable), puis devant le professeur et les copains qui assistent au cours, ensuite en audition, et pour finir en examen ou concours, devant un jury aux oreilles très averties. Il s’agit de moments toujours plus intimidants et c’est précisément en s’y heurtant que l’élève apprend à être plus libre dans son interprétation (d’où l’utilité des examens),,,, Il apprend alors à se connaître car il doit dominer son trac,  être plus exigeant avec lui-même lorsqu’il travaille seul, il doit savoir s’écouter (et non s’entendre) avec la même exigence qu’un jury, lorsqu’il l’écoutera. C’est la peur de l’autre qui fait que l’on peut jouer moins bien devant un tiers que seul chez soi. Si l’on est mal préparé, l’essentie l’examen  peut être une véritable destruction par la présence de l’autre. On pourrait également parler de « sur-concentration » si l’on considère qu’un trait non concentré dans le travail personnel, change sur le moment, l’attitude de l’interprète.

On pourrait donc se dire que jouer avec partition est une sécurité. On joue mieux car même si on se trompe, au moins, on ne risque pas de faire des erreurs textuelles. Et pourtant on nous incite beaucoup à jouer par-cœur. Est-ce que c’est si important ?

Bien entendu ! Tout d’abord parce qu’un jury qui constate que l’élève est détaché de sa partition part avec de bons a priori. Il se dit que l’élève a travaillé consciencieusement (certains étudiants déchiffrent très très bien…). Ensuite, un élève détaché du texte a une certaine liberté de l’œil : il a un sens de moins à utiliser et il peut ainsi se concentrer sur les autres sens. Son œil n’est plus rivé sur la portée : il est plus autonome.

Peut-être qu’il devient alors plus interprète et moins exécutant, il laisse plus de place à ce qu’il veut transmettre. Durant votre cours vous avez souvent fait appel à l’imaginaire, pourquoi ?

Tout d’abord  l’image aide à montrer ce qu’on peut transmettre visuellement (beaucoup de choses sont issus de l’oeil) , mais elle permet également  de mieux comprendre le texture de corde que l’on doit utiliser pour cela connaître toutes les possibilités de ce que nous appelons les couleurs. En cours, on peut interroger l’élève sur ses impressions, lui demander de préciser,  et de présenter l’image qu’il veut projeter aussi incongrue soit-elle.

Comment est-ce qu’il peut faire ?

Il faut avoir l’exigence de l’authenticité c’est à dire celle de s’accepter et « nettoyer » en conséquence. La justesse et le son doivent être dans un premier temps l’essentiel du travail. Pour cela, on doit développer une « générosité sonore »  et  être dirigé par l’idée que l’on va faire plaisir aux autres, à ceux qui écoutent ou qui écouteront. Là encore le travail personnel dot en tenir compte,

Il est pourtant difficile d’être attentif à chaque note, d’autant plus que certaines nous semblent naturellement avoir plus d’importance dans la trame.

Observez  les objets dans la salle. Essayez de me les nommer en gardant un même tempo que je fixe : «tableau, chaise, pupitre, piano…», il est  très difficile de ne pas perdre le fil !   L’œil et la parole  vont ensemble et il  faut un certain laps de temps pour regarder chaque objet, réfléchir à son nom et enfin le citer. Lorsque vous jouez, vous  rencontrez les mêmes difficultés. Chaque note a une valeur auditive  et digitale. Même si certaines seront par la suite plus importante que d’autres, lors du travail il faut être attentif à tout, c’est ce qui permet de ne pas tomber dans le problème de la globalisation. C’est la raison pour laquelle les professeurs demandent à leurs élèves de jouer lentement. Il faut le temps d’assimiler les deux difficultés justesse et le son.

Alors pour ne pas globaliser il faut être attentif au détail, mais il y a un second écueil : l’attitude inverse !

Oui, la musique est comme un puzzle, il ne faut pas oublier que la pièce n’est complète que lorsqu’on a tout assemblé avec des pièces et de qualité. La musique est le ciment de cet assemblage et c’est là que tout commence.

Certes, c’est la meilleure manière de travailler parce que c’est plus propre. Mais est-ce qu’on entend vraiment cette différence ? Entre ceux qui globalisent et ceux qui ont été attentifs à chaque note puis leur ont donné sens, qui sait faire la différence ?

Vous me demandiez tout à l’heure si la différence entre professionnels et amateurs n’était pas artificielle, c’est justement dans ce genre de cas qu’elle est plutôt claire. L’amateur qui représente à peu près 95% d’un public lambda n’y verra rien, le professionnel qui est dans les 5% (restant chiffre approximatif selon le répertoire proposé)  le remarquera lui. L’amateur aime la musique mais n’en connaît pas les arcanes et ne doit rien savoir de nos difficultés. Il est rare qu’un convive aille voir ce qu’il se passe en cuisine…et les chefs n’apprécient pas du tout leur présence !

Cela doit être assez gênant de tout entendre parce que finalement, la perfection n’existe pas, enfin… du moins pas en concert.

Non, évidemment la perfection n’existe pas et bien heureusement ! Le CD qui nous en donne l’image est une fiction sans âme. Le risque est que le musicien aspire à cette perfection et oublie l’oreille du public qui lui, veut être conquis par les sentiments du coeur et pas par celle de la mécanique.  Le disque est un artifice, et c’est dans le concert que l’on doit oublier ce que l’on joue et que l’on doit être inspiré par les auditeurs. Il est dommage que depuis fort longtemps, les salles d’enregistrement sont vides de public…. Les micros ont remplacé les âmes. Il n’y a pas d’excellence, celle-ci n’est pas compatible avec la chair, l’humus, ce qu’il y a de plus profond. Mais tout cela nécessite une technique instrumentale parfaite, bien évidemment.

Paul Tortelier disait qu’il faut lire la musique tel un alphabet  et sans coupure. Quand on connait le nombre de retouches d’un CD …

Oui, lorsque vous faisiez cours j’ai vu que vous vouliez vraiment faire ressortir quelque chose des profondeurs. Un caractère propre.

Dans les Suites de Bach on trouve cela, la gigue nous fait sentir la campagne, la fête … entendre le sabot qui frappe la terre…

Quel jeune étudiant en connaît aujourd’hui le claquement. ?  A 10 minutes de marche  pour sortir  de la ville, Bach lui pouvait les entendre,  humer l’odeur des parfums campagnards, voir danser les paysans. Que reste-il aujourd’hui de tout cela ?

Chacun doit ensuite se le réapproprier et imaginer ces émotions, si loin hélas de notre vie actuelle, faite de machines et d’ordinateurs de tout genre.

Une fois que le compositeur a écrit sa pièce, celle-ci ne lui appartient plus. C’est à cette condition que l’interprète devient créateur. Le génie est exceptionnel, inhumain, c’est ensuite à l’interprète de s’en approcher et de le filtrer pour le rendre à l’humain, et si c’est un interprète de génie, il le rendra ensuite à l’exceptionnel pour enrichir le public venu pour cela …