Cours de philosophie en ligne du CETAD 

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LA POLITIQUE – COMMENT VIVRE ENSEMBLE ?

Valentin et Ellen Davydov 

(Bernardino Mei, Allégorie de la justice, 1656)

  Le prince élevé par les grands a plus de peine à se maintenir que celui qui a dû son élévation au peuple. Le premier, effectivement, se trouve entouré d’hommes qui se croient ses égaux, et qu’en conséquence il ne peut ni commander ni manier à son gré ; le second, au contraire, se trouve seul à son rang, et il n’a personne autour de lui, ou presque personne, qui ne soit disposé à lui obéir. De plus, il n’est guère possible de satisfaire les grands sans quelque injustice, sans quelque injure pour les autres ; mais il n’en est pas de même du peuple, dont le but est plus équitable que celui des grands. Ceux-ci veulent opprimer, et le peuple veut seulement n’être point opprimé. Il est vrai que si le peuple devient ennemi, le prince ne peut s’en assurer, parce qu’il s’agit d’une trop grande multitude ; tandis qu’au contraire la chose lui est très aisée à l’égard des grands, qui sont toujours en petit nombre. Mais, au pis aller, tout ce qu’il peut appréhender de la part du peuple, c’est d’en être abandonné, au lieu qu’il doit craindre encore que les grands n’agissent contre lui; car, ayant plus de prévoyance et d’adresse, ils savent toujours se ménager de loin des moyens de salut, et ils cherchent à se mettre en faveur auprès du parti auquel ils comptent que reviendra la victoire. Observons, au surplus, que le peuple avec lequel le prince doit vivre est toujours le même, et qu’il ne peut le changer ; mais que, quant au grands, le changement est facile ; qu’il peut chaque jour en faire, en défaire; qu’il peut à son gré, ou accroître ou faire tomber leur crédit.
Machiavel, Le Prince, IX, 1532